Le 16 février 2008, par Geneviève Koubi,
Lors du Conseil des ministres du mercredi 13 février 2008, le Premier ministre a évoqué le problème toujours récurrent de « l’application des lois ». Reprenant une antienne classique que bien des rapports administratifs ont déjà soulignée et réitérée, le Premier ministre a cherché à asseoir l’application des lois sur « une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique ». La liaison entre ces trois temps nous laisse cependant quelque peu perplexe [1]...
C’est surtout le retard pris en ce domaine qui justifie l’intervention du Premier ministre. Ce retard est pensé uniquement par rapport à l’activité gouvernementale et ministérielle ; il ne tient pas compte des imprévus et des impondérables qui pourraient surgir à l’occasion de la mise en application du texte législatif ; il n’est pas non plus évalué à l’aune des précautions indispensables à une bonne compréhension du droit.
Pour le Premier ministre, les décrets et, éventuellement, les arrêtés pris pour et en application des lois et des règlements, ne suivent pas suffisamment rapidement la promulgation de la loi. C’est oublier combien la vogue des expérimentations et le développement des actions menées “à titre expérimental” ont modifié la perception du temps dans le rapport institué entre la loi et le règlement.
Le Premier ministre, chef du Gouvernement, a donc demandé aux ministres de prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier au décalage “dans le temps” entre la publication de la loi et la publication des décrets d’application de la loi, sans se saisir de la question du décalage dans l’espace-temps que suscitent les expérimentations (souvent plus ou moins dissimulées) ni de celle du décalage dans la formulation, le vocabulaire de la loi se différenciant des vocables du règlement, ces derniers étant distincts des mots administratifs inclus dans les circulaires qui accompagnent les unes et les autres, ni encore de celle relative au respect de toutes les procédures consultatives préalables éventuelles, lesquelles sont parfois obligatoires, le défaut de consultation d’un organisme donné étant alors un motif d’annulation de l’acte...
La rapidité devient bel et bien le maître mot de la confection du droit, aussi bien au niveau législatif qu’au niveau réglementaire. La consigne générale donnée aux administrations d’éviter, autant que possible, l’émergence de contentieux – notamment en ce qui concerne le rapport entre loi et règlement – semble devoir être peu à peu abandonnée. Pourtant, si le Gouvernement doit se montrer exemplaire dans l’application des lois votées, il doit encore plus prôner le respect des textes, de la Constitution comme de la loi, de leur lettre comme de leur esprit. Or, les quelques mesures proposées au Président de la République pour assurer une meilleure application des lois ne retiennent pas explicitement l’enjeu majeur de la hiérarchie des normes.
Ces mesures se résument en des “instructions” adressées aux ministres.
Le premier temps défini par le Premier ministre est d’exiger des ministres que les textes d’application des lois soient pris « dans le délai maximum de six mois à compter de leur promulgation », ceci constituera désormais, « non un “comportement recommandé”, mais une véritable obligation de résultat ». Les circulaires relatives « aux règles d’élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en oeuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre » mériteraient d’être attentivement relues. Le condensé d’un « Guide de Légistique » présenté sur le site de Legifrance en rappelle l’utlité…
Le deuxième temps est développé pour chacun des ministres et dans chaque ministère. Tout ministre « devra désigner au sein de son administration centrale une structure clairement identifiée qui sera “responsable de la coordination du travail d’application des lois pour l’ensemble du ministère” ». Se posera inévitablement la question des signatures et des contreseings… Mais encore cette obligation est énoncée sans qu’ait été soulevé le problème récurrent des lacunes de la formation juridique des fonctionnaires publics.
Le troisième temps opère un recentrage du travail ministériel : « une réunion interministérielle de programmation sera organisée après la promulgation de chaque loi et un point de situation sera fait trois mois après ». C’est dans ce cadre que le Premier ministre évoque l’existence de « décrets dont l’aboutissement apparaîtra incertain » et qui, de ce fait, « feront l’objet d’un suivi particulier ». Mais plutôt que souligner à ce propos la question de la « légalité », le Premier ministre s’octroie une fonction d’arbitrage « dès qu’un décret se heurtera à un différend interministériel sérieux ». La solidarité gouvernementale apparaît bien fragile tant les périmètres des attributions de chaque ministère sont complexes et poreux et tant les lois votées et promulguées ces derniers mois supposent d’interconnections entre les ministères… Serait-il temps de proposer comme sujet de dissertation dans le double jeu du droit constitutionnel et du droit administratif : « qu’est-ce qu’un décret » ?
Demandant, dans un dernier temps, à ce qu’un « bilan de l’application des lois » soit réalisé « tous les six mois, ministère par ministère », le Premier ministre joue l’air de la communication plus que celui la transparence.
Comme ce bilan « sera adressé au Parlement, remis à la presse et mis en ligne sur Internet », et la rubrique « Volume du droit en vigueur » proposée sur Legifrance verra-t-elle enfin ses sources actualisées de manière régulière. Car, actuellement, c’est « sur la base du décompte opéré à partir de la base LEGI » au 1er juillet 2007 que ce volume est calculé : « 2 619 textes de nature législative …, représentant 22 334 articles », et « au niveau réglementaire, 16 697 décrets en vigueur …, représentant un total de 108 945 articles » ; de plus, « les 64 codes en vigueur représentent … un total de 35 396 articles de nature législative, 50 146 articles de nature réglementaires et 11 160 articles indifférenciés (codes sans distinction entre partie législative et partie réglementaire) ».
Culture du résultat et rapidité de la fabrication des textes juridiques forment-elles désormais le slogan de la « réforme de l’Etat » ?
[1] V. la brève « Plus et plus rapidement »