Le 20 mars 2014, par Geneviève Koubi,
Pour information. [1]
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Dans une ordonnance du 10 mars 2014, départements de l’Aveyron, de la Corse du sud, de la Côte d’Or, du Loir-et-Cher et du Loiret (req. n° 375279), le Conseil d’État a signifié deux indications spécifiques et distinctes : l’une concernant les recours dirigés contre les circulaires administratives, l’autre relative aux sujétions imposées aux collectivités territoriales (- ici exposées dans une circulaire administrative).
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. Sur les circulaires :
Le juge des référés estime que la circulaire JUSF1314192C du 31 mai 2013 du ministre de la justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers, dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation contient des dispositions impératives - sans les désigner explicitement alors que la circulaire présente un « descriptif de la procédure de mise à l’abri/évaluation/orientation des mineurs isolés étrangers ». Elle prévoit que « cette procédure sera désormais mise en œuvre de façon homogène sur l’ensemble du territoire national pour s’assurer de la minorité et de l’isolement des jeunes se présentant comme mineurs isolés étrangers, et pour assurer leur prise en charge par un service d’aide sociale à l’enfance, dans le département où l’évaluation a été réalisée ou dans un autre département » (circ. 31 mai 2013). On comprend ainsi que les départements doivent assurer la prise en charge matérielle et financière de ces jeunes isolés.
Puisque la circulaire comporte des dispositions de caractère impératif, le juge en déduit logiquement qu’elle « constitue une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et, par suite, d’une demande de suspension ». De telles dispositions peut alors être retenues au titre de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision »).
. Sur l’urgence :
Le juge des référés rappelle que « l’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». Il lui appartient donc « d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ». Cette appréciation se réalise "objectivement" et tient compte de "l’ensemble des circonstances de l’affaire".
En quelque sorte, il s’agit de retenir que le "doute" sur la légalité de l’acte en cause ne suffit pas pour caractériser une "urgence", il ne permet pas non plus de relever des atteintes spécifiques soit à un droit ou liberté, soit à un intérêt public. Ainsi, selon le Conseil d’État, la circulaire ne prive pas les jeunes isolés étrangers du droit d’être entendus par un juge, et, dès lors, à l’encontre des allégation des départements requérants, les jeunes isolés étrangers pourraient faire état de leur choix quant au département d’accueil. De plus, il remarque qu’aucun élément précis ne permet d’établir que la circulaire « serait de nature à préjudicier de manière grave et immédiate à leur situation » (il s’agit là de celle des départements).
. Sur les contraintes :
Notant que « la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative (est) distincte du point de savoir s’il existe des doutes sérieux sur la légalité » des dispositions impératives de la circulaire attaquée, le Conseil d’État relève particulièrement que « les départements requérants ne sauraient tirer parti de la circonstance qu’ils sont contraints d’accueillir et de prendre en charge les mineurs isolés étrangers qui leur sont affectés par la cellule nationale de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse au besoin sur injonction des autorités préfectorales dans le cadre du contrôle de légalité, en application de dispositions qui seraient illégales, pour établir l’existence d’une situation d’urgence » (cons. 7).
Cette formule peut être adaptée à toutes les situations de ’contrainte’ dans lesquelles se trouveraient des collectivités territoriales pour l’application de décisions prises au niveau national.... dès lors que ces dernières touchent, d’une manière ou d’une autre, au champ de leurs compétences.
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NB : cette présentation technique ne se réfère pas à l’ordonnance du Conseil d’Etat du 12 mars 2014 (req. n° 375956) par laquelle le juge des référés a estimé qu’un département porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - constitutive d’une situation d’urgence - en refusant de prendre en charge un mineur isolé étranger qui lui a été confié par un juge des enfants en invoquant comme motif le fait que les services d’accueil des mineurs du département ... ne disposent plus de places disponibles, ni de crédits budgétaires.
[1] Cours concernés : Droit des collectivités territoriales, Droit du contentieux administratif.