Le 22 juin 2013, par Geneviève Koubi,
Et voilà, à partir d’un texte déjà bancal adopté par l’Assemblée nationale et peu adapté aux réalités universitaires pourtant dit projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, les sénateurs ont, au premier jour de l’été, ... alors que les épreuves du bac s’achèvent, alors que le Président de la République se penche, comme son prédécesseur, sur les ’emplois non pourvus’, alors que les gouvernants font des risettes aux patrons, alors que l’objectif est toujours de réduire le nombre de fonctionnaires de l’État pour les verser dans la fonction publique territoriale tout en sachant que les collectivités locales comme les établissements dits ’autonomes’ ne disposent plus de moyens financiers pour les absorber, ... décidé de mettre leur grain de sel :
« Suppression de la procédure de qualification des enseignants chercheurs. Suppression des regroupements des établissements d’enseignement supérieur. Refus de la création de communautés d’universités et d’établissements. Imposition d’un pourcentage minimal de bacheliers professionnels et technologiques dans les sections de techniciens supérieurs et dans les instituts universitaires de technologie. Élargissement du recours aux enseignements en alternance. Incitation au développement de parcours universitaires avec des période d’études et d’activités à l’étranger. Cours en langue étrangère dans l’enseignement supérieur pour répondre à des besoins pédagogiques, notamment dans le cadre de programmes internationaux. »
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Déjà en ajoutant à l’article L. 111-5 du Code de l’éducation un alinéa affirmant que « L’État est le garant de l’égalité devant le service public de l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire », le projet de loi invitait à penser les universités comme des établissements régionaux. En évoquant « une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, comportant une programmation pluriannuelle des moyens » avec une définition des « priorités ... arrêtées après une concertation avec les partenaires culturels, sociaux et économiques, la communauté scientifique et d’enseignement supérieur, les ministères concernés et les collectivités territoriales », les cinq alinéas complétant l’article L. 123-1 du code de l’éducation enfonçaient le clou. L’article L. 123-2 du Code s’enrichit ainsi, selon le projet, d’une orientation spécifique : « la croissance et à la compétitivité de l’économie et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution prévisible ». Sans commentaire.
Puisque la vocation des établissements universitaires s’entend comme trinquant à la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants, les étudiant-e-s apprécieront eux-mêmes la marge qui sépare le discours classique sur l’obtention d’un diplôme national et leur enfermement dans un cadre régional mis au service de la compétitivité des entreprises privées. A leur attention, l’alinéa ajouté à l’article L. 611-5 du Code relatif aux missions du bureau d’insertion professionnelle est assez parlant : « Il prépare les étudiants qui en font la demande aux entretiens préalables aux embauches. Il recense les entreprises susceptibles d’offrir aux étudiants une expérience professionnelle en lien avec les grands domaines de formation enseignés dans l’université, en vue de leur proposer la signature de conventions de stage ».
Or, en même temps, ces formulations permettaient d’envisager faire des enseignants-chercheurs, fonctionnaires de l’État aujourd’hui, des fonctionnaires territoriaux demain. En toute logique idéologique, ces derniers étant des éveilleurs de conscience, il semblait aux pouvoirs publics utile, sans même réfléchir aux conséquences et à l’impact social et financier qui en découleraient, de supprimer les procédures de qualification nationale des maîtres de conférence et des professeurs. Or, en ôtant cette phrase : « Sauf dispositions contraires des statuts particuliers, la qualification des enseignants-chercheurs est reconnue par une instance nationale », de l’article L. 952-6 du Code de l’éducation, c’est toute la cohérence du corps des enseignants-chercheurs qui se dévide...
Et sur CPDH, Serge Slama remarque, à juste titre, que cette« qualification des enseignants-chercheurs ... reconnue par une instance nationale » « constitue une garantie essentielle pour les enseignants chercheurs. Sans procédure nationale de recrutement c’est la porte ouverte à l’application sans plus aucune limite au localisme et au clientélisme ».
Localisme, clientélisme... c’est dit. Régionalisme... c’est latent.
La régionalisation larvée des universités commence à se montrer au jour. Elle apparaît comme un des premiers paliers de la subordination-soumission attendue des étudiant-e-s et des enseignant-e-s, par delà les pouvoirs attribués aux présidents des universités. Mais aussi, voire surtout, elle sera un moyen pour assurer les pouvoirs publics de l’étouffement des futures contestations... puisque les instances nationales n’auront plus à s’en préoccuper, puisque les manifestations seront (dé)localisées, - ce d’autant plus que les fonctionnaires territoriaux ne bénéficieront pas des mêmes latitudes que les fonctionnaires de l’État que sont (et que ne seront plus les enseignants-chercheurs) en matière de liberté d’expression...
Ce qui sera d’autant plus prégnant du fait du futur article L. 611-8 qui prévoit que « les établissements d’enseignement supérieur rendent disponibles, pour les formations dont les méthodes pédagogiques le permettent, leurs enseignements sous forme numérique, dans des conditions déterminées par leur conseil académique ou par l’organe en tenant lieu et conformes aux dispositions du code de la propriété intellectuelle », - même si « cette mise à disposition ne peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants sans justification pédagogique »...
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Le "métier" d’enseignant-chercheur a toujours été considéré comme dangereux par les tenants du pouvoir, quels qu’ils soient, sa mise au pas ne fait que commencer.
Il leur faudra alors trouver les voies de la désobéissance - civile - pour rester "debout" [1]
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affaire à suivre
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[1] En petite référence aux modes de contestation en Turquie...