Le 14 novembre 2010, par Geneviève Koubi,
Est-il possible d’enregistrer dans un fichier informatique les mandats électifs exercés sans faire mention des opinions politiques ? La réponse est positive. L’arrêté du 8 novembre 2010 portant création au profit de la direction centrale de la police judiciaire d’un « fichier des courses et jeux » que le directeur général de la police nationale (direction centrale de la police judiciaire) est autorisé à mettre en œuvre, les intègre dans les données à caractère personnel désormais enregistrées [1].
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L’intitulé de cet arrêté est révélateur de la perception que les autorités administratives centrales ont de la constitution de fichiers et traitements automatisés de données à caractère personnel : la création de ces fichiers des courses et des jeux s’entend au profit de la direction centrale de la police judiciaire [2]. Cette expression "au profit" sonne comme d’un "gain" dans le jeu politico-administratif.
Dans le schéma de la réorganisation du ministère de l’intérieur, cette direction est dite "active" : « La direction centrale de la police judiciaire est une direction active de la direction générale de la police nationale. / Elle concourt à l’exercice des missions de police judiciaire sur l’ensemble du territoire et, notamment, à la prévention et à la répression des formes spécialisées, organisées ou transnationales de la délinquance et de la criminalité. / Elle assure la surveillance des établissements de jeux et des champs de courses. » (art. 13 du décret n° 85-1057 du 2 octobre 1985 relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’intérieur et de la décentralisation [3])
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Les traitements automatisés et des fichiers de données à caractère personnel dénommés « fichier des courses et jeux » ont pour finalité « d’assurer la surveillance de la régularité et de la sincérité des jeux, des courses et des paris » (art. 1er de l’arrêté du 8 novembre 2010). Cette surveillance repose sur deux temps qui ne sont pas nettement distingués : ceux qui proposent ces courses et jeux et ceux qui sont interdits de cours et jeux.
Sont, en effet, situées sur un même plan la conservation des données à caractère personnel recueillies « à l’occasion des enquêtes administratives d’agrément et d’autorisation de jeux » et la conservation des données à caractère personnel « relatives aux personnes faisant l’objet d’une mesure d’interdiction ou d’exclusion des salles de jeux ou des champs de courses. » (art. 1er) La confusion organisée entre les deux champs brouille les enjeux de ces traitements et fichiers qui, présentés au pluriel dans l’arrêté du 8 novembre 2010, auraient mérité être soigneusement distingués [4].
Le pluriel est justifié par le fait que ces traitements et fichiers sont constitués pour une connaissance détaillée des trajectoires, parcours et cursus « des personnes physiques exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle en rapport avec les établissements de jeux et les champs de courses hippiques, les cynodromes et les terrains de pelote basque, et soumises à agrément » [5] ; pour une détermination ajustée « des personnes morales dont l’activité est liée directement ou indirectement aux établissements de jeux et aux champs de courses ou ayant des intérêts dans ces domaines » [6] ; pour une identification permanente « des personnes physiques ayant des intérêts ou des responsabilités liés aux activités ou aux personnes morales en lien avec ces établissements et champs ; et, nécessairement, pour surveiller et contrôler « les personnes faisant ou ayant fait l’objet d’une exclusion de salles de jeux ou de champs de courses. » (art. 2).
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En signifiant « le motif de l’enregistrement des données », l’article 3 de l’arrêté du 8 novembre 2010 assure pourtant d’une relative distinction entre les catégories de personnes susceptibles d’être fichées.
Cet article donne la liste les données à caractère personnel enregistrées dans les traitements et fichiers : « identité (nom, nom marital, nom d’emprunt officiel, prénoms, sexe) ; surnoms, alias ; photographie ; date et lieu de naissance ; filiation ; nationalité ; situation familiale, nom du conjoint ou du concubin ; adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ; professions ; mandats électifs exercés dans la commune siège de l’établissement (à l’exclusion de toute mention relative aux opinions politiques) ; » ; et ce n’est que si les personnes concernées « acceptent la transmission de telles informations » qu’entrent dans les fichiers les indications relatives à « la situation patrimoniale et financière permettant de vérifier les conditions de ressources exigées ». Comme à l’accoutumée, il est précisé que « le traitement ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie » (art. 3. I.).
Au § II de cet article, pour les personnes morales, ce sont des catégories d’informations qui font l’objet d’une certaine attention : « raison sociale, dénomination ; date de création ; numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou d’enregistrement en préfecture ; adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ; situation patrimoniale et financière ; motif de l’enregistrement des données. »
La conservation de ces données est graduée selon les situations. L’article 5 de l’arrête du 8 novembre 2010 en présente les conditions : pour les « données relatives aux personnes physiques bénéficiant d’un agrément ou ayant des intérêts ou des responsabilités dans le domaine des courses et jeux : huit ans après la cessation des activités professionnelles de la personne concernée ou la cession de ses intérêts dans le domaine des courses et jeux » ; pour celles « relatives aux personnes physiques ayant fait l’objet d’un refus d’agrément : vingt ans à compter de la date du refus de l’agrément » ; pour les « informations relatives aux personnes morales : dix ans après la disparition de la personne morale. »
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Pour tout observateur néophyte, il aurait été logique d’ajouter la liste des données concernant « les personnes faisant ou ayant fait l’objet d’une exclusion de salles de jeux ou de champs de courses » puisque ces dernières sont mentionnées à l’article 2 de l’arrêté ; le lecteur retiendrait de même qu’il est précisé à l’article 5 du même arrêté que les « données relatives aux personnes physiques faisant l’objet d’une exclusion des salles de jeux ou des champs de courses [sont conservées] jusqu’à la levée de la mesure les concernant ».
Mais, l’article 8 de l’arrêté du 8 novembre 2010 introduit une modification de l’arrêté du 19 mai 1993 autorisant la création au ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire d’un fichier automatisé des casinos et des exclus des salles de jeux (modifié par un arrêté du 28 juillet 2010) en ces termes : « Les données contenues dans le présent traitement relatives aux personnes exclues des salles de jeux peuvent être transférées vers le traitement du service central des courses et jeux de la direction centrale de la police judiciaire. ». Il apparait que ce fichier étant déjà créé, constitué et alimenté, les seules informations nouvelles qui le concerneraient induiraient une forme de mutualisation par transfert… Ceci serait conforme aux orientations de la RGPP et aux tentations sécuritaires des services de police. En effet, le « fichier des jeux » (qui remplaçait l’appellation « fichier des casinos » employée en 1993) se voit désormais intégré indistinctement dans ces traitements et fichiers dénommés sous le générique « fichier des courses et jeux ».
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Le fichier des « exclus des jeux » enregistre les données des personnes volontairement inscrites (sur leur demande), celles des personnes dont l’addiction aux jeux est avérée et celles des personnes sanctionnées pour diverses raisons — notamment ’administratives’ [7]. Il serait toutefois utile de préciser que, dans ces fichiers sur les exclus de jeux, peuvent être concernées les personnes qui s’y adonnent en ligne comme le prévoit la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. L’article 26 de cette loi dispose : « L’opérateur de jeux ou de paris en ligne titulaire de l’agrément prévu à l’article 21 est tenu de faire obstacle à la participation aux activités de jeu ou de pari qu’il propose des personnes interdites de jeu en vertu de la réglementation en vigueur ou exclues de jeu à leur demande. Il interroge à cette fin, par l’intermédiaire de l’Autorité de régulation des jeux en ligne et dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l’intérieur. Il clôture tout compte joueur dont le titulaire viendrait à être touché par une interdiction ou une exclusion./ Il prévient les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de mécanismes d’auto-exclusion et de modération et de dispositifs d’autolimitation des dépôts et des mises. Il communique en permanence à tout joueur fréquentant son site le solde instantané de son compte. Il informe les joueurs des risques liés au jeu excessif ou pathologique par le biais d’un message de mise en garde, ainsi que des procédures d’inscription sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l’intérieur. Un arrêté du ministre de la santé précise le contenu de ce message de mise en garde. »
Il est alors curieux que l’arrêté du 8 novembre 2010 mentionne principalement les « personnes faisant l’objet d’une mesure d’interdiction ou d’exclusion des salles de jeux ou des champs de courses » (art. 1er), à moins que les sites en ligne constituent des salles et champs virtuels [8].
Il est bon aussi de retenir que les données à caractère personnel « relatives aux personnes faisant l’objet d’une mesure d’exclusion, qu’elle soit volontaire ou administrative, sont conservées jusqu’à la levée de cette mesure et au maximum pendant une durée de vingt ans. » (art. 1er 5° de l’arrêté du 28 juillet 2010 modifiant l’arrêté du 19 mai 1993 autorisant la création au ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire d’un fichier automatisé des casinos et des exclus des salles de jeux).
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En fin de compte, cet arrêté a seulement pour objet de déterminer quelles sont les autorités détentrices de ces fichiers et quelles sont les personnes habilitées à les alimenter et à les consulter. L’information la plus importante qu’il signifie est celle qui semblerait la plus anodine : celle qui fait état de la possibilité de transférer les données contenues dans le traitement relatives aux personnes exclues des salles de jeux vers le traitement du service central des courses et jeux de la direction centrale de la police judiciaire (art. 8).
A chacun d’en relever la méthode... laquelle pourrait, à terme, concerner bien d’autres fichiers !
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[1] On notera aussi que dans les visas de cet arrêté est cité le décret n° 2008-631 du 27 juin 2008 portant modification du décret n° 91-1051 du 14 octobre 1991 relatif aux fichiers gérés par les services des renseignements généraux et du décret n° 2007-914 du 15 mai 2007 pris pour l’application du I de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978… lequel décret introduisait la mise en application des fichiers CRISTINA et EDVIGE, le premier étant confidentiel-défense et toujours en vigueur, le second ayant été remanié sous une autre forme…
[2] Afin de relever sa compétence en la matière, v. arrêté du 29 octobre 2010 modifiant l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos.
[3] Du fait du décret n° 2008-612 du 27 juin 2008.
[4] Mais il est vrai qu’à partir du moment où les jeux et paris sont ouverts en ligne, la distinction pourrait être malaisée…
[5] Etant précisé que peu importe si cet agrément a été accordé ou refusé.
[6] Certes, les sociétés et entreprises privées pourraient être les premières concernées, mais il est aussi nécessaire d’évoquer dans ce cadre les collectivités territoriales…
[7] D’où la difficulté de penser l’attribution de la gestion de ce fichier à la direction de la police judiciaire.
[8] Sans doute faudrait-il à ce niveau retenir le dispositif déterminant de l’article 1er de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 : « Les jeux d’argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; dans le respect du principe de subsidiarité, ils font l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs. ». L’article 2 de cette même loi définit les jeux de hasard en ces termes : « Est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain. »En relèvent Le pari hippique et le pari sportif (art. 4 de la loi).