Le 13 mars 2009, par Geneviève Koubi,
Les approches de la colonisation ne sont pas très développées dans le domaine de la Science juridique. Elles relèvent plus sûrement de la Science politique, de la sociologie ou de l’Histoire, donc aussi de l’Histoire du droit. Cependant, dans la mesure où les incitations mitigées à une décolonisation de la part des institutions internationales et la résolution ambiguë des conflits coloniaux ont été l’objet de diverses résolutions et conventions internationales, la connaissance de ces textes, de ces recommandations, de ces instruments juridiques, de ces appels à une considération générale des aspirations des populations et au respect des droits des peuples, devient substantielle. Etudier ces textes apparaît essentiel avant d’envisager une analyse sur la colonisation comme sur les "indépendances".
Il est alors utile de relever que, dans l’enceinte des Nations-Unies, la question coloniale n’a pas été pensée initialement comme signifiant une atteinte aux droits de l’homme et aux droits des peuples. Les principes retenus étant ceux du maintien de la paix et de la stabilité étatique, les objectifs développés étaient de permettre une gestion des problèmes suscités par le colonialisme par un arbitrage entre les « intérêts » en présence, — notamment en matière économique, c’est-à-dire entre les intérêts du colonisateur et les intérêts du colonisé [1]. La proclamation des droits des peuples a donc été ‘tardive’. La seule référence au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux du 16 décembre 1966, et notamment par le jeu de leur premier article [2], ne permet pas de rendre compte de l’évolution plus que de l’ampleur de la prise de conscience, par les Etats-membres, des défauts et travers de la colonisation ; ainsi, la Résolution ONU n° 1514 du 14 décembre 1960 sur ’l’octroi de l’indépendance’ avait au préalable annoncé la nécessité de prendre acte du "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes". Ce n’est qu’à la suite des divers mouvements de décolonisation entrepris par les pays colonisés durant les années 1960, qu’à l’aube des années 1970 fut affirmé “le principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes”, induisant l’obligation pour tout État "de respecter le droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance des peuples" [3]. Pour autant, à la fin des années 1970, les formules du préambule de la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux du 27 novembre 1978 permettent de relever la préoccupation générale quant aux processus de « décolonisation », la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) s’affirmant « consciente du processus de décolonisation et des autres mutations historiques qui ont conduit la plupart des peuples anciennement dominés à recouvrer leur souveraineté, faisant de la communauté internationale un ensemble à la fois universel et diversifié et créant de nouvelles possibilités d’éliminer le fléau du racisme et de mettre fin à ses manifestations odieuses sur tous les plans de la vie sociale et politique, dans le cadre national et international ».
Néanmoins, parce que les mots ont un sens, même si ce sens varie dans le temps et selon les contextes, comme les déformations ou les manipulations discursives troublent la compréhension du droit, certaines distinctions s’avèrent fondamentales pour rendre compte des thèses passées, présentes et à venir, relatives au binôme colonisation/décolonisation. Il s’agit de ne pas confondre un "statut" et une "qualification". Le mot ’indigène’ revêt diverses significations dans le cadre du rapport entre droit et colonisation. En droit colonial, il désigne la situation juridique imposée aux colonisés sous la médiation d’un texte, statut ou code, qui assure d’une césure entre l’Etat colonisateur et la population vivant sur le territoire annexé. Ce terme est de toute autre consonance dans les instances internationales.
Les différents qualificatifs qui désignent les "peuples" dans les instruments internationaux doivent dès lors être attentivement relus et retenus avec distanciation et objectivité, c’est-à-dire en se gardant de tout jugement de valeur à la lumière des sémantiques contemporaines. En effet, la lecture de ces textes conduit à une dissociation ambivalente entre peuples indigènes, peuples tribaux [4], peuples coloniaux [5], peuples minoritaires [6], populations aborigènes et tribales [7], peuples autochtones [8], etc.
Aussi, pour aborder le jeu stratégique qui se réalise entre colonisation et indépendance, entre droits des peuples à l’autodétermination et résistance à l’exploitation postcoloniale, plusieurs étapes dans la signalisation des textes internationaux, parfois sous la forme de recommandations, parfois pourvus d’une valeur juridique attestée, seraient nécessaires. Nombreux sont les ouvrages en histoire, science politique, sociologie, anthropologie qui en rendent compte. Pourtant, parmi ces étapes, trois temps pourraient être proposés pour évaluer l’évolution des mentalités étatiques — si tant est qu’elles existeraient — couvrant une période de vingt années [9]. Mais ces étapes s’entendent dans une perspective anachronique en ce que la période étudiée s’inscrit entre deux textes spécifiques qui ne sont pas nécessairement les plus cités en la matière. En effet, un certain nombre de textes, relevant d’organisations internationales ou européennes, pourrait entrer dans le champ de l’étude esquissée ; ces textes dont la valeur juridique n’est pas toujours affirmée tant sur le plan international que dans le cadre du droit interne des Etats signataires, se révèlent parfois ‘oubliés’ parce que pensés obsolètes ou parce que ne revêtant plus de sens pratique, ou encore parce que ne disposant plus d’échos dans un monde reconstruit sur le pragmatisme ponctuel et actuel.
Donner du relief à la question récurrente d’une définition des peuples colonisés ne doit pas induire en erreur. Ce terme renvoie aux ’populations’ installées dans les territoires colonisés et dont les membres ne disposent pas des droits de pleine citoyenneté à l’instar des colons qui s’y sont implantés. L’emploi du terme "indigène" à l’égard de ces populations renvoie alors à la situation du "local" ; l’idée de "peuple" n’y est pas associée. Par ailleurs, ce mot permet aux colons de procéder à des sélections collectives pour intégrer dans le cadre construit par le régime politique et juridique auxquels ils sont attachés, une fraction de la population colonisée. L’existence d’un mouvement depuis un Etat vers un autre territoire et la technique de la partition sociale par l’effet de la citoyenneté sont des indices premiers de la colonisation. De ce fait, signifier une relation systématique entre peuples colonisés et peuples indigènes est inapproprié. En 1960, la considération envers les "peuples indigènes" se pensait, en effet, dans des pays ’indépendants’. Si, de nos jours, une tendance linguistique à surélever l’expression de "peuples autochtones" pour remplacer la notion de "peuple indigène" se dessine, il est à noter que, dans différents Etats d’Amérique Latine, cette désignation révèle une toute autre dimension de la considération politique et sociale des populations [10].
Le présent billet qui voudrait inviter chacun à les lire, se limite à citer trois textes :
. - la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 ,
. - la Convention n° 169 OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 7 juin 1989.
La mise en perspective de la colonisation à travers ces textes qui voulaient timidement inviter les Etats à penser le respect dû aux droits des peuples plus que les inciter à absorber les formes de la décolonisation, pourrait paraître illogique au prime abord. Cependant, lorsque l’étude de la colonisation s’implique sur le terrain de l’observation des textes ‘à l’état brut’… — c’est-à-dire indépendamment des contextes politiques et sociaux internationaux de l’époque [11]—, elle n’a pas pour objectif d’en proposer des lectures remaniées. Elle chercherait plutôt à restituer aux formulations leur sens initial. Si deux des textes retenus en exemple s’inscrivent dans l’après-colonisation, c’est aussi parce qu’il serait malaisé de fonder l’analyse sur les discours politiques et juridiques célébrant le colonialisme, le premier de ces textes signale d’ailleurs le tournant des années 1960 en la matière.
De plus, dans la mesure où l’orientation de l’étude proposée s’inscrit dans un monde contemporain en perpétuel devenir, les formulations que recèlent ces textes et les interprétations qui ont pu en être données par la suite, peuvent aider à une appréhension distancée du phénomène de la colonisation. S’il s’agissait de cerner la difficulté de penser en droit la période coloniale et de comprendre comment peut être évoquée une post-colonialité qui retraduirait les « disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale » [12], ce positionnement n’aurait guère de sens.
Suivant cette optique, la notion de « colonisation » doit être prise en son sens historique dans l’espace politique, économique, social, stratégique et démographique, à compter des premières « grandes découvertes » jusqu’aux annexions de territoires par différents Etats suivant des prétextes sécuritaires. Si, aujourd’hui, la question coloniale n’est plus à l’ordre du jour des interrogations internationales, quand bien même l’opposition à la domination économique de certaines puissances se chante encore sur l’air de la résistance au néo-colonialisme, le lexique du droit la tient à distance tant il se resserre autour d’une notion de "sécurité" qui tend à recouvrir le retour du phénomène. Car, même si elle se constate, la colonisation n’est pas (seulement) un « fait », elle est aussi et surtout un « processus ». Cette perception est essentielle parce qu’elle permet de relever toutes les justifications qui la légitimeraient aux yeux des uns et toutes les dérives qui l’accompagnent.
De nos jours, dans l’espace du droit, la saisie de ce processus dépend alors aussi bien des modalités de sortie de la situation coloniale que des modes de reconnaissance du fait colonial, par-delà les repentances. Dès lors, les textes internationaux ou régionaux qui ne concernent ce thème entre colonisation et décolonisation qu’à la marge, comme ceux relatifs aux conflits armés [13] ou aux revendications pour l’autodétermination, relèvent d’un autre champ ; ils ne font ni l’objet d’une mention, ni l’objet d’une signalisation sur Droit cri-TIC dans le cadre donné d’une distinction à établir, à relever, à discerner, entre peuples colonisés et peuples indigènes.
La sélection des différents liens activés ici a été réalisée autour de la notion de « peuple ». Les textes retenus ne sont pas reproduits (un lien actif y renvoie). Toute observation qui accompagnerait, par la suite, une présentation de certaines dispositions tirées de ces textes serait évidemment sujette à discussion. Il n’y a pas en la matière de position arrêtée puisque le domaine de la colonisation est indéniablement situé sur un terrain mouvant et quelque peu déstabilisant pour tout État… — ceci explique peut-être la réticence des discours de droit et du droit, à convoquer la notion de « droits des peuples » [14]. Sans doute, est-il nécessaire de faire aussi référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007 mais, comme l’idée de "peuple" est l’idée conductrice de l’étude proposée, même si quelques éléments pourront être puisés dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du 10 novembre 1994 du Conseil de l’Europe, n’est pas prise en considération la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques du 18 décembre 1992.
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Sont alors proposées à lecture ces dispositions :
issues de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 :
« 1. La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales. /2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. /3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de l’enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l’indépendance... »
des principes suivants relevant de la Résolution ONU 2625, - Déclaration sur les Principes de droit international concernant des relations amicales et la coopération entre les États... du 24 octobre 1970 :
« 1- Tout Etat a le devoir de s’abstenir, dans ses relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. (…). /Les Etats ont le devoir de s’abstenir d’actes de représailles impliquant l’emploi de la force. /Tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. /(…). Le territoire d’un Etat ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre Etat à la suite du recours a la menace ou a l’emploi de la force. Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale. (…) 2 – (…) Aucun Etat ne peut appliquer ni encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de toute autre nature pour contraindre un autre Etat à subordonner l’exercice de ses droits souverains et pour obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce soit. (…). /L’usage de la force pour priver les peuples de leur identité nationale constitue une violation de leurs droits inaliénables et du principe de non-intervention. /Tout Etat a le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre Etat... »
tirées de l’article 1 de la Convention n° 169 OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 7 juin 1989 :
« La présente convention s’applique : /1. /a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale ; /b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles. /2. (...). /3. 3. L’emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s’attacher à ce terme en vertu du droit international... »
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[1] V. cependant, la Résolution ONU n° 1803 du 14 décembre 1962 : « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles ».
[2] Art. 1er 1 et 2 (commun aux deux pactes) : « 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. 2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance… ».
[3] V. Résolution ONU n° 2625 du 24 octobre 1970 : « Déclaration sur les Principes de droit international concernant des relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations-Unies ». Cette Déclaration, — qui fera peut-être l’objet de considérations spécifiques sur Droit cri-TIC à l’adresse des étudiants, par la suite —, est l’une des principales références retenues dans les résolutions concernant le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination ».
[4] V. Convention n° 169 OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 7 juin 1989.
[5] V. Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960.
[6] V. Déclaration universelle des droits des peuples d’Alger du 4 juillet 1976.
[7] V. Convention n° 107 OIT relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957.
[8] V. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007.
[9] D’autres périodes pourront, le cas échéant, être envisagées au fil d’un enseignement toujours remanié.
[10] Dans la même veine, la Déclaration universelle des droits des peuples d’Alger du 4 juillet 1976 évoque l’existence de "peuple minoritaire" sans que cette notion recouvre une situation de "colonisé".
[11] ... guerre froide et guerre des étoiles étant alors lancinantes.
[12] En reprenant là, le titre de l’ouvrage collectif réalisé sous la dir. de C. Coquio, ed. L’Atalante, coll. Comme un accordéon, Nantes, 2008.
[13] V. cependant, au-delà de la saisie par le droit de ces conflits, le lien effectué avec la problématique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, entre la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires du 4 décembre 1989 et la Résolution n° 58/162 du 22 décembre 2003 : "Utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination".
[14] Av. : Cette note étant pensée en rapport avec le cours de « Droit et colonisation », si des billets correspondants aux textes cités devaient intervenir, ils ne le seraient qu’en fin d’année universitaire.