Le 3 septembre 2008, par Geneviève Koubi,
Plutôt que de retenir le discours classique qui introduit le passeport biométrique, les textes étant censés « en simplifier la procédure de délivrance ou renouvellement et améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude », relever les inquiétudes exprimées par les députés à la suite de la publication du décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques et de la circulaire INT/A/08/00105/C du 7 mai 2008 sur le choix des 2 000 communes appelées à recevoir des stations d’enregistrement des données personnelles — et en prévision d’une discussion à venir sur un projet de loi controversé – ne semble pas inutile ... peut-être pour annoncer les remaniements des enseignements en libertés publiques [1], en droit administratif et en science administrative dès la rentrée universitaire 2008.
Le décret du 30 avril 2008 relatif aux passeports et la circulaire du 7 mai 2008 ont suscité de nombreuses questions parlementaires, les questions et réponses ministérielles ici retenues ont été publiées le 26 août 2008. [2].
Sur ce problème de la délivrance du passeport puis à terme des papiers d’identité, du coût qu’elle génère pour les collectivités locales concernées et de l’accueil des usagers appelés à remplir des formulaires spécifiques et à offrir leurs données personnelles… on relève plusieurs questions dont, par exemple, celle de M. Grand Jean-Pierre (UMP - Hérault ) n° 25908 ; les deux questions de M. Vannson François (UMP - Vosges ) : n° 26500 et n° 26499 ; une question de Mme Irles Jacqueline (UMP - Pyrénées-Orientales ) n° 27055 ; de M. Tardy Lionel (UMP - Haute-Savoie ) n° 27054 ; de M. Gosselin Philippe (UMP - Manche ) n° 27518 ; une de M. Remiller Jacques (UMP - Isère ) n° 27520 ; de M. Fruteau Jean-Claude (Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Réunion) n° 28028, etc.
Si chacune de ces questions s’inscrit dans un temps particulier, les réponses ministérielles, elles, jouent sur l’air de la généralité et de la généralisation et se dupliquent dans le « copier/coller » : elles reprennent le plus souvent les termes de la circulaire et elles sont identiques pour la plupart de ces questions auxquelles elles ne répondent pas précisément.
Les problèmes soulevés sont de plusieurs ordres. Les uns concernent la mise en application du dispositif de recueil des données personnelles par les bureaux compétents dans les « communes présélectionnées pour la délivrance des passeports biométriques », les autres soulignent la nécessité de repenser les fonctions des bureaux d’accueil et les tâches des agents publics territoriaux, d’autres encore, subséquents au dispositif déterritorialisé de dépôt des demandes de passeport, sont relatifs au coût induit par la charge de la mise en application par la collectivité territoriale des textes législatifs (futurs) et réglementaires (actuels) sur le passeport biométrique.
C’est surtout à propos de la concurrence que supposerait la numérisation gratuite du visage, ce qui touche à la situation économique des commerces des photographes, que le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales se dispense de répliquer… en reproduisant une réponse-type qui ne fait d’aucune manière référence à cette profession et serine imperturbablement le même refrain de la lutte contre la fraude. Il est à noter cependant que le ministre a signalé incidemment dans l’une de ses réponses que « dans le souci de la bonne mise en place du futur passeport, les représentants de la profession de photographe ont été reçus au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales pour évoquer l’ensemble des questions soulevées par le nouveau dispositif ».
Mme Irles, étudiant le « décret instaurant dans les mairies l’implantation d’une machine recueillant la photo de l’usager et ses huit empreintes digitales pour la réalisation des nouveaux passeports » ; s’inquiète de l’accessibilité des locaux affectés à ces tâches et relève l’incohérence du dispositif : « Alors que de nombreux photographes ont du fermer leur entreprise ces dernières années, on peut se demander s’il est judicieux que l’État vienne concurrencer une activité économique établie et pour laquelle la profession a toujours respecté un tarif tout à fait étudié ».
M. Gosselin utilise les mêmes arguments en se demandant si « le projet de mise en place de stations de prise de photographies et d’enregistrement des empreintes digitales dans 2 000 mairies à l’occasion du lancement de la nouvelle génération de passeport biométrique » ne nuirait pas « aux photographes dont l’activité est très dépendante des photos d’identité » ; il signifie ainsi que « la collectivité exercerait ainsi une concurrence déloyale à l’égard des professionnels qui, d’une part, sont soumis à l’exigence de résultats et, d’autre part, ont consenti des investissements importants pour s’adapter à la nouvelle réglementation sur les passeports ».
M. Fruteau fait de même en citant le texte du décret : « à moins que le demandeur ne fournisse deux photographies d’identité de format 35 × 45 mm identiques, récentes et parfaitement ressemblantes, le représentant de face et tête nue, l’image numérisée de son visage est recueillie par la mise en oeuvre de dispositifs techniques appropriés [3] ». Il considère alors que « cette mesure risque de soulever de nombreux préjudices pour les professionnels de la photographie et risque même, à terme, de mettre en péril l’avenir économique de ces commerces ».
M. Voisin dans sa question n° 27521 introduit une même réflexion sur l’avenir des photographes… alors même que les progrès techniques l’ont déjà largement entamé, ce que relève explicitement M. Bouchet (Q. n° 28031) en se faisant le relais des inquiétudes exprimées par la Confédération française de la photographie : « Les photographes professionnels, déjà durement frappés par le développement de la photographie numérique, se verraient confrontés à une concurrence insurmontable due à la gratuité de la prestation, avec le souci que ce projet ne soit rapidement étendu aux cartes d’identité. L’équilibre économique de toute cette profession risquant d’être très fortement touché ».
Les autres questions concernent plus largement les financements de l’activité de délivrance des passeports en faisant état de la situation des usagers et des charges de travail des agents territoriaux.
La circulaire du 7 mai 2008 prévoit des modifications substantielles des modalités d’accueil des demandeurs de passeport. La saisie des données biométriques n’est pas une opération anodine. Les citoyens se rendront dans l’une des 2 000 communes « où seront implantées une ou plusieurs stations d’enregistrement des données : état-civil – photographie - empreintes digitales. Chaque station est calibrée pour traiter de l’ordre de 2 500 demandes de titres par an. Les citoyens auront toute faculté de se présenter avec une photographie d’identité répondant à la norme ISO/IEC.19794.5.2005. La photographie pourra être aussi prise par la station d’enregistrement qui ne délivrera aucun cliché au demandeur. L’ensemble de la procédure sera dématérialisé. L’agent de mairie vérifiera les pièces justificatives contenues dans le dossier de demande : état-civil – identité – nationalité – domicile ou résidence - exercice de l’autorité parentale. Il les numérisera et procédera au recueil des empreintes. Le dossier sera ensuite envoyé par réseau sécurisé à la préfecture qui instruira la demande et donnera l’ordre de production à l’imprimerie nationale. Les titres seront remis en mairies ».
Le député Grand fait remarquer que « les usagers seront libres de choisir telle ou telle commune comme lieu d’accomplissement de leurs formalités. La notion de territorialité étant totalement abandonnée dans cette nouvelle organisation, il est prévisible que les usagers choisiront le lieu le plus commode pour effectuer ces démarches : lieu de travail, commune facile d’accès, horaires d’ouverture des services municipaux, possibilités de stationnement, commune située sur le trajet domicile-travail, lieu de villégiature, etc. ». De ce fait, les calculs pour l’indemnisation des communes destinés à « tenir compte de la charge de travail occasionnée par l’accueil des usagers venant d’autres communes » sont très aléatoires.
Pour le député Fruteau, « l’installation de stations de prise de vue … risque fort d’entraîner des surcharges de travail pour les personnels communaux, ainsi que pour les finances des collectivités concernées, compte tenu des équipements à mettre en place et des coûts de maintenance du système, pour assurer ce nouveau service dans des conditions satisfaisantes. À cela s’ajouteront vraisemblablement des coûts d’aménagement de locaux ainsi que des frais de formation des agents municipaux, puisque l’opération de prise de vue, au regard des obligations réglementaires strictes pour l’acceptation de la photographie, requiert un certain nombre de compétences techniques ».
Le député Vannsson confirme cette incertitude en notant l’insuffisance de l’indemnisation forfaitaire (proposée à 3 200 euros par an) : « les prévisions portant sur le recrutement d’un agent administratif sur environ 12 heures par semaine, pour la gestion du dispositif, ainsi qu’une ouverture minimum au public de 2 heures par jour, n’apparaissent que fort peu compatibles avec le montant de cette indemnisation ».
L’installation des stations de prise de photos et d’enregistrement des empreintes suppose en effet des dépenses importantes pour les 2 000 mairies concernées. Comme le souligne M. Gosselin, « au-delà du coût immédiat que représente l’aménagement d’un local adapté pour accueillir ces équipements, ce projet alourdira la charge des services de l’état civil imposant leur réorganisation et, dans de très nombreux cas, le recrutement d’un agent supplémentaire ».
En rappelant les principaux enjeux de cette réorganisation de la délivrance des papiers d’identité, le ministre de l’intérieur avait dans sa réponse à M. Grand, tenté de rassurer les élus locaux : « l’installation en mairies de stations d’enregistrement des données personnelles permettra de couvrir, dans son intégralité, le processus de demande de passeport, depuis la prise de photographie et d’empreintes jusqu’à la remise du titre. L’État, par l’intermédiaire de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), prendra en charge les frais liés à l’acquisition et à la mise en place des stations dans 2 000 communes réparties sur le territoire national ainsi qu’à leur maintenance, leur entretien, leur remplacement éventuel et l’abonnement portant sur le raccordement au réseau informatique. L’ANTS prendra également en charge la formation des agents territoriaux affectés à l’accueil des citoyens. Un centre d’appels sera mis en place pour aider et conseiller les mairies ».
A la question n° 26500 de M. Vannsson qui détient une tonalité principalement localisée, la commune de Gérardmer « ayant été pressentie pour l’accueil de deux bornes d’enregistrement » [4], le ministre répond encore de manière très générale, en reproduisant les réponses données aux autres questions, sans tenir compte des particularités soulignées.
Se référant au « règlement n° 2252/2004 du 13 décembre 2004 du Conseil européen qui f(er)ait obligation à tous les pays membres de l’Union de délivrer, au plus tard le 28 juin 2009, une nouvelle génération de passeports », signalant que le décret du 30 avril 2008 relatif aux passeports a pour but de « permettre à la France de délivrer en temps voulu un nouveau titre comportant, dans un composant électronique, des données biométriques : image numérisée du visage et empreintes digitales », le ministre signale que « l’installation, dans les mairies volontaires, de stations d’enregistrement des données personnelles permettra de couvrir, dans son intégralité, le processus de demande de passeport, depuis la prise de photographie et d’empreintes jusqu’à la remise du titre ».
Le « choix des 2 000 communes qui acceptent de recevoir des stations d’enregistrement des données personnelles et biométriques » ne peut se réaliser indépendamment d’un maillage territorial qui tiendrait compte tant de la densité de la population que des facilités de desserte. La carte territoriale des stations de confection et de délivrance des cartes nationale d’identité et des passeports s’insère dans la perception de l’aménagement du territoire développée sous le label de la RGPP. Si le ministre précise que la liste des communes et le nombre des stations pourront être modifiés et complétés en fonction de l’évolution des besoins, il rappelle néanmoins que « 2 000 communes représentent actuellement 70 % de la demande de titres ».
Dans la circulaire du 7 mai 2008, il avait été fait état de certains critères devant guider le choix des implantations des « stations », en invoquant une étroite concertation entre le Préfet du département et l’Association départementale des Maires. Les impératifs de l’aménagement du territoire, la qualité de la desserte de la population et l’équilibre géographique du département sont ainsi des références essentielles. Parmi les critères retenus on relevait ainsi : « - le bassin géographique couvert par la commune concernée ; - la localisation géographique de la commune permettant une bonne couverture du territoire (en tenant éventuellement compte des communes retenues dans un département limitrophe) ; - les facilités d’accès par la route, les transports collectifs (bus ou train) ; - les statistiques actuelles de demandes de titres (passeport et carte d’identité) sur le bassin considéré ; - la disponibilité des locaux, leur localisation, leur aménagement et leur facilité d’accès, et la nécessité de les avoir prêts selon le programme de déploiement et au plus tard pour le mois de juin 2009 ; - la volonté locale de participer au dispositif qui concernera aussi, le moment venu, la carte nationale d’identité ».
Afin d’éviter toute récrimination quant au coût du matériel, sans tenir compte des frais de maintenance et d’entretien, oubliant combien le passeport est une pièce essentielle quant à l’exercice des libertés par las citoyens, le ministre précise encore que « la station est un équipement léger, qui tient sur une table de bureau, voire un guichet, et ne nécessite pas d’aménagement particulier. Il n’est nul besoin par ailleurs d’un local dédié à l’accueil des personnes handicapées, dès lors que la mairie leur est accessible conformément aux dispositions de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées [5] ».
Conscient des risques de confusions qui pourraient s’ensuivre pour les usagers, le ministre insiste sur le fait que les financements envisagés constituent une indemnité et non une compensation liée à un transfert de compétence : « en matière de titres d’identité et de voyage, le maire agit en tant qu’agent de l’Etat, conformément à l’article L. 2122-27 du code général des collectivités territoriales ». Les termes de la circulaire, non repris dans la réponse ministérielle, qui suivent ce rappel sont plus percutants : « Je souligne que le Préfet reste l’autorité qui instruit la demande et prend la décision ».
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[1] Plus qu’en droit des libertés fondamentales !
[2] D’autres questions et réponses ont fait l’objet de publication durant les mois de juillet et d’août. Les remarques à leur propos pourraient être identiques.
[3] Etant précisé par ailleurs, en réponse à la question de M. Remiller, que « la photographie prise par l’appareil d’acquisition de données biométriques l’est pour un usage unique et intégré ; il n’est délivré aucun cliché ni aucun fichier numérisé au demandeur ».
[4] Cette précision est d’importance dans la mesure où elle indique qu’il ne s’agit pas de choix d’implantation effectués dans des communes volontaires, mais plutôt d’implantations à réaliser dans des communes qui accepteraient accueillir les stations nécessaires à la délivrance du passeport puis de la carte nationale d’identité.
[5] Ceci est aussi un élément de réponse à la question de Mme Irles.