Le 24 mai 2011, par Geneviève Koubi,
Voilà que les entreprises bénéficieront d’un régime particulier, nettement favorable, pour ce qui concerne l’application du droit. Les particuliers eux restent immédiatement soumis au respect des normes, quel que soit le coût auquel ils auraient à faire face...
Plutôt qu’éviter « des modifications incessantes » du cadre réglementaire, lesquelles sont « source de difficultés et de coûts pour les entreprises » [1], le gouvernement choisit, par une circulaire du 23 mai 2011 relative aux dates communes d’entrée en vigueur des normes concernant les entreprises publiée au Journal officiel du 24 mai 2011, proposer que désormais « l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles applicables aux entreprises » soit concentrée « autour d’un nombre réduit d’échéances fixes dans l’année » [2] - étant cependant entendu que l’entrée en vigueur « des mesures favorables aux entreprises, en particulier des mesures constituant pour elles de véritables simplifications » se fera « sans délai ».
Le Premier ministre dépasse donc le seul modèle des normes techniques. Il annonce que « les décrets et arrêtés concernant les entreprises qui paraîtront au Journal officiel de la République française à compter du 1er octobre 2011 comporte[ro]nt un mécanisme d’entrée en vigueur différée d’au moins deux mois à compter de la date de leur publication. La durée de ce différé devra être adaptée en fonction de l’objet du texte. Elle sera bien supérieure pour les textes dont la mise en œuvre serait lourde en implications pour les entreprises. Les dates d’entrée en vigueur ainsi fixées devront correspondre à l’une des deux échéances du 1er janvier et 1er juillet de chaque année. » Deux éléments laissent ainsi penser que la fonction des actes administratifs unilatéraux est en passe de se transformer : ajustement de l’entrée en vigueur en rapport avec l’objet du texte et recomposition de cette entrée en vigueur selon l’impact postulé sur les résultats économiques des entreprises concernées.
Plus encore, le Premier ministre insiste sur cet avantage accordé aux entreprises qui, plus que d’autres catégories d’administrés selon lui, se verraient particulièrement désorganisées devant la prolifération des normes juridiques : « il ne pourra être dérogé à cette discipline que pour des raisons d’une force particulière, dont le commissaire à la simplification placé auprès du secrétaire général du Gouvernement appréciera le bien-fondé... » [3].
Seules les entreprises sont concernées... Ceci sonne comme une confirmation de l’enjeu réel de la circulaire du 17 février 2001 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, publiée au Journal officiel du 18 février 2011 [4].
.
Puisque « ce mécanisme nouveau exigera de l’ensemble des ministères le respect de nouvelles modalités d’élaboration des textes », des aménagements sont indispensables. Ils devront être retranscrits dans les textes juridiques.
Cette circulaire du 23 mai 2011 est assez brève. L’annexe est plus détaillée. Y figurent ainsi les modes rédactionnels qui, par delà l’exposition d’une « notice explicative » annexée au projet, feront que l’exécution du règlement adopté devra être différée : « Chaque texte entrant dans le champ du dispositif fixe expressément sa propre date d’entrée en vigueur à l’une des quatre échéances annuelles prédéfinies. Le cas échéant, des dates d’entrée en vigueur différenciées seront prévues selon ses dispositions. / La rédaction des dispositions d’entrée en vigueur pourra emprunter des formules du type : / « Le présent décret entre en vigueur le 1er octobre 2012 » ; / « Les dispositions du présent décret s’appliquent aux demandes présentées à compter du 1er juillet 2012 » ; « Les dispositions du présent décret s’appliquent aux comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 ». »
Une étude à venir sur les modalités d’entrée en vigueur des actes administratifs sera à recomposer pour en saisir les strates et les stratégies, elle s’inscrira nécessairement dans le jeu de la fabrication même de l’acte, dans ce qui constitue le « processus décisionnel », dans la mesure où le Premier ministre précise que ces exigences s’entendent « dès les premiers stades de l’élaboration de règles nouvelles et tout au long du cheminement des projets d’acte. »
Or, entre mesures transitoires et entrée en vigueur différée il existe une différence appréciable qui porte atteinte à la conception même de l’acte administratif unilatéral. Une application des actes juridiques se faisant à géométrie variable et selon la qualité de la personne concernée peut être considérée comme une ouverture vers l’arbitraire puisque désormais chaque catégorie d’administré pourra se voir ainsi distinguée selon les effets d’un règlement donné. Toutefois, afin de contourner ce risque, qui n’interdit pas une telle critique, l’annexe à la circulaire prévoit que « la rubrique “Entrée en vigueur” de la notice (explicative) fera apparaître la ou les échéances prédéterminées retenues pour le texte dont il s’agit. Les éventuelles mesures transitoires doivent également y être mentionnées ».
N’aurait-il pas alors été plus approprié de faire référence à un principe de sécurité juridique agencé autour des mesures transitoires issu de la jurisprudence : CE, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, n° 288460 et s. ? En effet, dans la présentation donnée de ce qui constitue un ‛arrêt de principe’ pour le Conseil d’État, sur son site web, il est noté que : « Une des traductions concrètes de ce principe, qui constitue la principale avancée de la décision, réside dans l’obligation faite au pouvoir réglementaire de prévoir, dans certaines circonstances, des mesures transitoires lors d’un changement de réglementation. »
.
.
Plusieurs questions s’insinuent dans ce schéma : ● Les mêmes exigences ne peuvent-elles être aussi détaillées à l’endroit des collectivités territoriales ? ● La distinction entre les catégories d’assujettis au respect du droit ne porte-t-elle pas atteinte au principe d’égalité devant la loi ? ● Quelles sont les incidences de l’entrée en vigueur « échelonnée » d’un acte administratif unilatéral ? ● Entrée en vigueur différée et entrée en vigueur immédiate sont-elle envisageables pour un même acte suivant les catégories de personnes intéressées ? etc.
...
.
[1] Pourtant, pas seulement pour elles !
[2] Ce sera donc comme les dates des ‛soldes’ mais en plus rentable...
[3] Les entreprises concernées par les « détecteurs de radars » n’auraient-elles pas désirées être incluses dans ce champ ? Comment pourraient-elles commercialiser des détecteurs alors que l’objectif de la suppression des panneaux de signalisation des radars automatiques a été actée et confirmée en application de l’arrêté du 12 mai 2011.
[4] V. Gk, « Évaluer l’impact des normes pour les entreprises et... les collectivités territoriales ».