Le 2 mars 2011, par Geneviève Koubi,
La circulaire du 25 février 2011 relative aux circulaires adressées aux services déconcentrés, publiée au Journal officiel du 1er mars 2011, a pour objet de renforcer « l’efficacité de l’action de l’État ». L’adresse aux ministres est sans appel : chaque ministère est appelé à veiller « à ce que les instructions qu’il adresse aux services déconcentrés s’insèrent de manière cohérente dans la politique d’ensemble du Gouvernement. »
Le souci d’une "cohérence" du jeu politique, plus spécifiquement compris dans la ligne conduite par le Gouvernement, prouve, encore une fois, combien les circulaires administratives sont à la jonction de deux sphères, la sphère politique et la sphère administrative. Insistant de nouveau sur la dérive épistolaire qui alimente l’inflation textuelle, le Premier ministre cherche à resserrer son emprise sur l’ensemble des services administratifs, et plus particulièrement, sur les services déconcentrés. Il estime ainsi que l’efficacité de l’État s’entend dans un discours recentralisé, toutes les administrations centrales et tous les services extérieurs devant user des mêmes "éléments de langage", à partir d’une même "feuille de route", suivant des mêmes buts, pour des mêmes résultats... Car sans « maîtrise du volume des circulaires », rien ne va plus ! Tout est brouillé « lorsque les services déconcentrés de l’État sont exposés à un flot de circulaires, émanant de multiples signataires, et diffusées de manière indifférenciée. »
Dès lors, il s’agirait de mieux discerner « l’origine de ces instructions » et surtout, de distinguer « celles qui définissent des priorités politiques et fixent des objectifs stratégiques de celles qui, sans être inutiles, présentent un caractère plus technique. » Nombreuses sont les circulaires qui font état de ’priorités politiques’ [1] mais elles pourraient être assimilées à des textes sans portée administrative, ou plus exactement, elles finiraient par ressembler à des moyens ou des supports d’une ’propagande’ au service d’une politique donnée si elles ne s’avéraient pas pensées comme les vecteurs d’une information essentielle à la compréhension des exigences de l’intérêt général. Plus porteuses de sens sont les circulaires administratives qui, en dépit de la dévalorisation implicite qu’elles rencontrent sous le sceau de leur "caractère plus technique", présentent des ’interprétations administratives’, lesquelles sont indispensables pour en relever les possibles utilisations, à savoir si l’administration peut les opposer aux administrés ou si les administrés peuvent s’en prévaloir devant l’administration.
La classification des circulaires et instructions s’enrichirait-elle de nouvelles qualifications ? Il y aurait matière à réfléchir sur la définition des "circulaires de nature stratégique" et sur la détermination des "instructions de portée technique" [2]. Mais le contenu de la circulaire ne s’étend pas sur cette proposition de distinction, il en expose les techniques.
Dans un« souci de hiérarchisation », les consignes données dans cette circulaire du Premier ministre du 25 février 2011 portent sur deux points : la signature ; la diffusion.
1. La signature. Les ministres et préfets doivent signer personnellement les circulaires « qui comportent l’exposé d’une politique, la définition d’orientations pour l’application des lois et des décrets ou la détermination des règles essentielles de fonctionnement d’un service public. »
Et voici que, pour les distinguer des autres, estimant peut-être que le mot "circulaire" est trop vague et vaste, ces textes seront désormais dénommés « instructions du Gouvernement » ! Effectivement, la formulation ne permet aucun doute quant à l’obéissance qui leur est due...
Les autres circulaires, plus techniques, pourront donc être signées par le secrétaire général et les directeurs d’administration centrale de votre ministère (sur délégation) [3]
2. La diffusion. « La diffusion des circulaires doit être assurée, dans chaque ministère, à partir d’un point d’émission unique, placé sous le contrôle du secrétaire général du ministère. » Cette modélisation justifiait l’institution du site "circulaires.gouv.fr" qui est soulignée dans cette circulaire, en son dernier paragraphe, pour ce qui est des circulaires dont les administrés pourraient se prévaloir [4].
Il est alors rappelé que « chaque préfecture est dotée d’une adresse de messagerie fonctionnelle dédiée à laquelle doivent être adressées l’ensemble des circulaires. » Ce sont des circulaires qui n’apparaissent pas nécessairement sur le site "circulaires.gouv.fr".
Les circulaires qui sont adressées aux préfets de région le sont « avec copie aux préfets de département et aux directeurs régionaux concernés. » Puisque copies il y a, ces circulaires doivent être de caractère technique, elles ne sont donc pas des "instructions du Gouvernement".
Cependant, alors que la question de ’l’origine’ des circulaires n’est pas traitée mais simplement localisée à partir d’un point central ’unique’, le Premier ministre opère une distinction entre les circulaires adressées aux services déconcentrés, — tel est d’ailleurs l’objet de la circulaire du 25 février 2011.
Sont mentionnées les circulaires « relatives à la mise en œuvre des politiques publiques » dans les départements (qui « sont adressées à l’ensemble des préfets avec copie aux directeurs départementaux concernés » et les « circulaires relatives à l’organisation et au fonctionnement des directions départementales interministérielles » (qui « sont diffusées par le secrétaire général du Gouvernement ou sous son couvert. ») De ce fait, ces dernières pourraient être voisines des "instructions du Gouvernement" ; il ne faut pas s’en étonner : les préfets de département sont encore les principaux relais du pouvoir en matière de sécurité publique...
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Relevant de la stratégie de la ’diffusion’, en appelant à la« rationalisation du dispositif d’émission et de diffusion », l’un des derniers paragraphes de la circulaire du 25 février 2011 renvoie donc au site controversé et si mal agencé : « En application de l’article 1er du décret du 8 décembre 2008, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’État sont tenues à la disposition du public sur un site internet (www.circulaires.gouv.fr) relevant du Premier ministre. Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur ce site n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés. » [5]...
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[1] En effet, « les circulaires du Premier ministre ... consolident les discours définissant les priorités de l’action gouvernementale ; ces priorités sont liées aux contextes politiques, sociaux et économiques, – qu’il s’agisse de l’éducation, de l’environnement, de la décentralisation, de la lutte contre les exclusions, de la sécurité publique, du retour à la croissance économique... », Id., p. 50.
[2] Mais dans ce cadre, ce serait sans doute aux techniques administratives qu’il faudrait faire référence. Car,« les instructions techniques concernent, en général, des matières scientifiques ou industrielles, les pratiques fonctionnelles, les matériels utilisés – par exemple, en indiquant les modes de combinaison entre des équipements, les codes de comportements en face de situations données qui demeurent liées au métier (manutention, manipulation, maniement) ou articulées sur la mission des personnels (surveillance des locaux techniques, maintenance des matériels, interventions sur les équipements), en détaillant des normes de qualité, en fixant les modes de fabrication ou de reproduction de formulaires, en évoquant les taux d’évolution des dépenses, etc.. » : G. Koubi, Les circulaires administratives. Contribution à l’étude du droit administratif, Economica, coll. Corpus/Essais, 2003, p. 21.
[3] La circulaire du 1er juillet 2004 relative aux règles d’élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre (intégrée au Guide de légistique) précise cependant que « dans le cas où le ministre – les ministres en cas de circulaire interministérielle - ne signe pas personnellement une circulaire, seul un directeur ou, si ses attributions le justifient, un sous-directeur d’administration centrale peut la signer, à condition qu’ils disposent d’une délégation de signature à cet effet dans le domaine considéré. Le directeur du cabinet du ministre ne peut signer que dans les conditions prévues par le décret du 27 juillet 2005 (CE, 4 juin 2007, Ligue de l’enseignement et autres ».
[4] Et Serge Slama, dans son article « L’hécatombe des circulaires et instructions ministérielles signée avant le 1er mai 2009 (CE, 23 février 2011, La Cimade, Fnars et Gisti) » aurait raison... même si, en dépit de la présente circulaire, je ne suis toujours pas convaincue...
[5] Que Combats pour les droits de l’homme continue !... son influence sur les circuits administratifs se confirme.