Le 25 novembre 2009, par Eug. D.,
Au-delà des confrontations, notant qu’effectivement le lien opéré entre une idée d’identité nationale et les contraintes d’une intégration pour les étrangers immigrés s’avère plus que problématique, le débat lancé par les pouvoirs publics sur l’identité nationale au travers d’une circulaire et d’un questionnaire ravive les angoisses des citoyens et électeurs qui, Français, sont « contraints de prouver leur nationalité ». Pourtant, avant de devoir solliciter le renouvellement de leurs documents d’identité, ils les avaient toujours obtenus... sans trop de difficultés !
NB : La principale assise de ce billet est l’article paru dans le Nouvel Observateur du 19 au 25 novembre 2009 : Doan Bui, « Etes-vous sûr(e)s d’être Français ? ».
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Disposer d’une nationalité est un droit. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (ONU) le proclame : « 1. Tout individu a droit à une nationalité. /2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. » Les modifications du Code de la nationalité, puis des articles du Code civil relatifs à la nationalité ne transforment pas la lecture du principe.
L’article 17-1 al. 1 du Code civil dispose que « les lois nouvelles relatives à l’attribution de la nationalité d’origine s’appliquent aux personnes encore mineures à la date de leur entrée en vigueur, sans préjudicier aux droits acquis par des tiers et sans que la validité des actes passés antérieurement puisse être contestée pour cause de nationalité » ; l’alinéa 1 de l’article 17-2 du même code précise : « L’acquisition et la perte de la nationalité française sont régies par la loi en vigueur au temps de l’acte ou du fait auquel la loi attache ces effets. » Mais que faut-il lire au travers de ces dispositions de l’article 17-6 : « Il est tenu compte pour la détermination, à toute époque, du territoire français, des modifications résultant des actes de l’autorité publique française pris en application de la constitution et des lois, ainsi que des traités internationaux survenus antérieurement. » La simplification du droit n’est pas à l’ordre du jour en cette matière... peut-être est-ce parce que, sous la férule d’une idéologie restrictive, elle en viendrait à méconnaître les principes de droit, à porter atteinte aux libertés fondamentales et aux droits de l’homme. Serait-ce dans le but de les contourner qu’il serait laissé aux administrations dites compétentes en la matière, la possibilité de tergiverser à l’infini pour reconnaître ou nier, et par là contester, la nationalité française de ceux qui en bénéficiaient jusqu’alors ?
Suivant l’article 17-9 du Code civil, « les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance d’anciens départements ou territoires d’outre-mer de la République sont déterminés au chapitre VII » du Titre Ier bis ( : "De la nationalité française") du Code. Il Les données de l’article 32 du Code civil sont signifiantes : « Les Français originaires du territoire de la République française, tel qu’il était constitué à la date du 28 juillet 1960, et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l’indépendance sur le territoire d’un Etat qui avait eu antérieurement le statut de territoire d’outre-mer de la République française, ont conservé la nationalité française. » Cette configuration concerne les personnes qui bénéficient d’un enregistrement de leur état civil au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères :« Le Service central d’état civil du Ministère des affaires étrangères est compétent pour tous les événements d’état civil survenus à l’étranger ou dans les territoires anciennement sous administration française, et qui concernent des ressortissants français (naissance, reconnaissance, mariage, divorce, adoption,...). » La décision du Conseil d’Etat du 5 mai 2008, Geneviève A. et GISTI, n° 293934, rendue à propos du renouvellement du passeport, permet toutefois à ceux qui s’y seraient pas répertoriés de se prévaloir de la mention selon laquelle « l’administration devra prendre en compte les éléments produits par le demandeur qui est dans l’impossibilité de fournir les pièces mentionnées ».
Par ailleurs, comment admettre qu’une fois reconnue, acquise ou attribuée, la nationalité française pourrait être retirée selon les souhaits et désirs des gouvernants, c’est-à-dire, plus exactement, pour un oui ou pour un non "administratif" ? Le retrait, la perte (v. art. 23 et suiv. du Code civil), la déchéance (v. art. 25 et suiv.) de la nationalité ne se décident pas sans raisons de droit. Elles ne peuvent intervenir par le jeu des crispations, dysfonctionnements ou errements des administrations. La déshumanisation des relations sociales ne les justifie pas. Les "situations kafkaïennes" sont légion !
Le lien effectué entre la recherche d’une identité nationale qui dénie les processus constants de métissage et perd de vue la fonction d’une citoyenneté européenne et les strates générationnelles des phénomènes migratoires réveillent le "démon des origines" (pour reprendre le titre d’un ouvrage de H. Le Bras) et brisent les dynamiques d’une République solidaire et fraternelle. Le durcissement des lois sur l’immigration a suscité un rétrécissement du corps social que les pouvoirs publics prétendraient souder autour de cette identité nationale introuvable, indéfinissable. La circonscrire est une hérésie. Et chercher à le faire ne peut se réaliser à la faveur d’un débat irrémédiablement faussé et concocté dans une conception nébuleuse d’une citoyenneté ’intégrable/intégrée’.
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A la question qui pourrait être posée à chacun : "Etes-vous vraiment sûr d’être Français ?" comme le propose le Nouvel Observateur dans son n° 2350 du 19 au 25 novembre 2009, la réponse ne serait désormais que nuancée. Nul n’aurait de certitude à opposer de nos jours.
Est-ce à dire que la carte d’identité nationale et le passeport ne sont plus des documents authentiques ? Tous les dix ans chacun doit justifier de sa qualité de national plus que de citoyen français. Ceci explique peut-être le "boum" des déclarations de nationalité (v. art. 26 et suiv. du Code civil). Mais pour quiconque a toujours vécu en tant que tel, devoir passer devant le juge d’instance (art. 26) peut être ressenti comme une humiliation, voire même comme une discrimination puisque ce qui justifierait cet appel au juge repose sur le lieu de naissance ou sur le nom. De fait, « toute déclaration de nationalité doit, à peine de nullité, être enregistrée soit par le juge d’instance, pour les déclarations souscrites en France, soit par le ministre de la justice, pour les déclarations souscrites à l’étranger » (art. 26-1). Cela peut prendre un certain temps (v. art. 26-3). Comme la demande de renouvellement d’une pièce d’identité ne peut être réalisée que lorsque l’expiration de la carte détenue s’annonce imminente, le risque est bien que, pendant quelques années, le Français envers lequel l’administration oppose des procédures diverses de vérification pour l’obtention de cette pièce, entre dans la catégorie des "sans papier".
A prendre en considération la situation de celle/celui qui est dit né/e "à l’étranger" — même s’il s’agit de territoires autrefois sous administration française, les agents publics faisant parfois preuve d’une méconnaissance profonde de l’histoire de France —, les interrogations juridiques se doublent de questions morales. Les temps sont difficiles... La procédure de "renouvellement" des papiers d’identité oblige celui qui n’est pas né en France métropolitaine ou d’ans l’actuelle France d’outre-mer, à recommencer le circuit de la recherche de pièces déjà présentées dix ans auparavant. Le terme de "renouvellement", pourtant inscrit dans les textes juridiques, perd donc inévitablement de son sens. La "preuve" des liens de résidence, de filiation ou de mariage, déjà connue et validée dix ans auparavant, se trouve donc mise en doute. Et les trajectoires s’en vont vers les tribunaux. Or, le domaine de la suspicion s’étend. Déjà, les personnes nées en France se voient fragilisés du fait de la consonance de leur nom ou de leur ascendance. Demain, d’autres se trouveront-ils aussi en instance d’être si ce n’est ’privés’ de la nationalité française, au moins un temps ’contestés’ dans leur nationalité ? Celle/celui que certains voudraient dénommer ’Français/e de souche’ parce que "né/e en France, d’un parent Français lui-même né en France" n’est pas à l’abri d’un retournement législatif. Un jour, ils auront besoin eux aussi de s’échiner pour retrouver les documents nécessaires à l’obtention des carte d’identité et passeport. Dans une certaine mesure, au vu des variations infinies des textes et des lectures qui en sont faites, la qualité juridique des états civils est aléatoire. De plus, dans les connexions incongrues des fichiers et des traitements des données à caractère personnel, les modes d’archivage des pièces d’état civil ne sont plus très fiables. Ne peut-on alors craindre qu’un jour l’administration ne s’accorde un large pouvoir pour désigner de manière arbitraire ou sur des critères divers ... les citoyens-électeurs ?