Le 25 avril 2011, par Geneviève Koubi,
Le Conseil d’État a, le 20 avril 2011, rendu une décision précisant le régime de la protection fonctionnelle due aux fonctionnaires (CE, 20 avr. 2011, Yves A, req. n° 332255 - à publier au Recueil [1]).
Il a rappelé à cette occasion que les fonctionnaires bénéficient, du fait des lois, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, que cette collectivité « est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions » et qu’il s’agit là d’une « obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé (…) que pour des motifs d’intérêt général » (L. n°83-634 du 13 juil. 1983). Certes, le jeu de la distinction entre faute de service et faute personnelle peut parfois être soulevé et, en cas de poursuites pénales, la protection peut être refusée si les faits correspondants ont le caractère d’une faute personnelle.
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En l’espèce, la saisie des carnets de notes, dans lesquels se mêlaient observations de travail et annotations personnelles d’un directeur central des renseignements généraux, fut suivie, malgré lui, de la divulgation, dans la presse, d’extraits de ces notes. La révélation du contenu de ces carnets avait suscité des commentaires ressentis comme injurieux, outrageants et diffamatoires et des plaintes à son encontre furent déposées par certaines des personnes en cause. Le directeur sollicitait alors la protection statutaire dite aussi fonctionnelle (art. 11, Titre 1 Statut des fonctionnaires - de l’État).
Le Conseil d’État avait auparavant, dans une décision du 19 juin 2009 (req. n° 323745), annulé le refus de protection opposé par l’administration au même requérant [2]. Il avait cependant signifié que « l’annulation de la décision attaquée du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales n’implique pas nécessairement que la protection prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 soit accordée à M. A », ce qui a conduit le requérant à reformuler sa demande. Or, le ministre a réitéré ce refus cette fois-ci en signalant l’existence d’une faute personnelle, détachable du service (les carnets de notes étant au domicile), et en invoquant l’intérêt général vu la qualité des personnalités visées et les mentions attentatoires à leur vie privée. L’administration avait donc en un même mouvement refusé de lui accorder la protection fonctionnelle pour les attaques comme les poursuites.
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Même si la racine du problème repose sur un seul fait, le juge administratif s’est, lui, attaché à dissocier les deux aspects composant la demande de protection du requérant, en étudiant d’une part, les attaques dont il a fait l’objet et d’autre part les plaintes déposées à son encontre.
extraits :
« - Sur le refus de protection à raison des plaintes dont M. A a fait l’objet :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les carnets de note en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à l’occasion de ses fonctions de directeur central des renseignements généraux et dont la vocation était d’être utilisées pour le service ; que si le fait d’avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des documents ayant une telle vocation constitue une faute, celle-ci, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A ait conservé ces carnets en vue de s’en servir à des fins personnelles, n’a pas revêtu le caractère d’une faute personnelle, au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; que, par suite, en l’absence d’une telle faute, le ministre de l’intérieur était tenu d’accorder à M. A la protection statutaire qui résulte du troisième alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, à raison des plaintes déposées à son encontre ; (...) [3]
« - Sur le refus de protection à raison des attaques dont M. A a été l’objet à l’occasion de ses fonctions :
Considérant que la décision du ministre de ne pas accorder la protection statutaire à ce titre à M. A est fondée, outre sur l’existence d’une faute personnelle, sur le motif tiré de ce que l’État ne saurait couvrir de son autorité les agissements d’un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l’intimité de la vie privée de ces personnes ; qu’il ressort des pièces du dossier que le ministre aurait pris la même décision s’il n’avait retenu que ce motif, lequel constitue un motif d’intérêt général de nature à fonder légalement le refus de protection statutaire opposé à la demande de M. A relative aux attaques dont il a été l’objet à l’occasion de ses fonctions ; (…) »
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Si elle relève des droits du fonctionnaire, la protection fonctionnelle n’est accordée qu’à certaines conditions.
La protection statutaire est due dès que le lien avec le service est avéré ; elle ne l’est plus lorsqu’une faute personnelle est relevée ; elle ne l’est plus lorsque sont soulevés des « motifs d’intérêt général » ; elle peut donc être refusée même en l’absence de faute personnelle, le motif d’intérêt général y étant directement à l’œuvre.
Mais quelque soit le cas, l’administration est tenue de faire la distinction entre attaques (art. 11 al. 3, L. 13 juil. 1983) et poursuites pénales (art. 11 al. 4, L. 13 juil. 1983) pour les prolongements d’un même fait comme pour une seule et unique demande de protection statutaire.
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[1] Le lien est provisoire, la décision relevée étant récente.
[2] Le Conseil d’État avait alors considéré que « les carnets de notes en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à raison de sa qualité de directeur central des renseignements généraux, obtenues grâce aux moyens du service et utilisées dans l’exercice de ses fonctions ; que, dès lors, tant les attaques dont M. A s’estime être victime que les poursuites pénales dont il est l’objet à la suite de la révélation de ces carnets, doivent être regardées comme étant en relation avec les fonctions qu’il a exercées en sa qualité de directeur central des renseignements généraux ; que, par suite, le ministre, qui ne soutient pas que d’autres motifs, tels notamment qu’une faute personnelle, feraient obstacle à l’octroi de la protection sollicitée, a commis une erreur de droit en estimant que la protection demandée par M. A à raison de ces attaques et poursuites n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; qu’il suit de là que le requérant est fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ».
[3] D’où l’injonction : « la demande de protection statutaire de M. A à raison des plaintes dont il a fait l’objet, implique nécessairement que la protection prévue par le troisième alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 lui soit accordée …. ».