Le 30 octobre 2008, par Geneviève Koubi,
Voici le temps revenu des stages de désobéissance civile ! Un jour, peut-être, sur le marché des formations, verra-t-on fleurir les propositions de stages de préparation à la révolution….
En lisant différents quotidiens, on peut s’interroger sur les finalités des stages de « désobéissance civile » qui se voient organisés en dehors de tout contexte politique ou social précis. Dans Le Figaro du 29 octobre 2008, une interview de l’animateur du “collectif des Désobéissants” voudrait alors nous amener à penser que « la désobéissance civile ne s’improvise pas ». Un an auparavant, un article paru dans Le Monde du 7 octobre 2007 avait fait état de cette initiative qui semblait se justifier pour deux raisons : l’urgence écologique et l’élection présidentielle [1]. L’approche alors proposée était toute autre puisqu’il s’agissait de présenter ce “collectif des Désobéissants” comme des militants lassés par les pétitions et les manifestations classiques qui se voulaient alors « plus efficaces et ludiques » dans leurs actions de contestation.
Cependant, par l’effet d’un « stage pratique », la transformation d’une action civique collective en un exercice d’une technique d’indiscipline laisse perplexe puisqu’un tel enseignement revient à formater la contestation et à juguler l’indignation légitime que toute injustice réveille dans le corps social...
De plus, la dimension civique de la désobéissance se trouve rétrogradée. Les définitions s’emmêlent, les contradictions se multiplient et les confusions s’intensifient [2].
Or la distinction entre désobéissance “civique” et désobéissance “civile” ne peut être effacée. La désobéissance civique a pour objet de « contester un ordre juridique injuste, contraire à la philosophie des droits de l’homme et des droits des peuples », elle a encore pour objectif de revendiquer la reconnaissance de nouveaux droits, toujours à conquérir comme ce fut le cas, aussi relatifs seraient-ils, du droit au logement ou du droit à une qualité de vie. Tournée vers le bien commun ou inspirée par le bonheur commun, la désobéissance civique est indéniablement un mode d’expression de la citoyenneté. Plus personnelle et relevant d’une prise de conscience individuelle, la désobéissance civile recèle nombre d’ambiguïtés tant elle repose sur une opposition à la loi construite par la pensée « morale ». Son défaut serait alors de se fonder sur une vision binaire quelque peu classifiante des règles et des normes : bien/mal ou juste/injuste…
Il est curieux de constater qu’en l’espace de quelques jours, ce thème de la désobéissance a été abordé dans plusieurs journaux à propos de questions diversifiées allant de la répréssion judiciaire des transgressions des prescriptions religieuses [3] jusqu’à l’interrogation sur la survenue possible de mouvements de révolte des populations contre les effets d’une crise aux soubresauts incohérents en passant par l’interpellation récente de « déboulonneurs d’affiches » lors d’action anti-pub à Paris [4] ou par les manifestation d’opposition aux expulsions des étrangers « sans papiers » [5].
La désobéissance civile se veut certes « non violente » mais elle ne constitue « un défi au Droit et aux règles de la démocratie représentative » qu’en certaines circonstances, non parce qu’elle s’oppose aux lois régulièrement adoptées, promulguées [6] mais parce que ces demandes sont, avant toute chose, l’expression d’un « sentiment d’injustice » [7].
Il n’en demeure pas moins que les différentes observations relatives à une augmentation problématique de la mise en oeuvre des procédures et de l’ouverture des procès pour « outrage » [8] pourraient laisser penser que, derrière les faits et dits constitutifs d’outrage, ce sont des actes de désobéissance civile qui se trouvent sanctionnés — en sus d’un déni de protection de la liberté d’expression par les autorités publiques, quelles qu’elles soient…
Or, il se trouve que la notion d’outrage ne concerne pas seulement les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ; en effet, elle trouve aussi à s’appliquer en matière de « respect dû à la justice ». Ce que rappellent d’ailleurs les articles 434-24 et 434-25 du Code pénal [9]…
Dès lors, devant la tendance générale des pouvoirs publics à se saisir de faits, actes ou pensées, pour des actions en justice qui instrumentalisent de plus en plus les juges [10] et défont la structure du droit par la permanente entrée en scène du politique, à quoi bon des stages de désobéissance civile si n’est pas mis en valeur l’esprit critique ?
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[1] Article de Sylvia Zappi, « Apprenez à désobéir ! ».
[2] V. par ex. sur un blog parmi d’autres, Appel à la désobéissance civile.
[3] V. par ex. El Watan, Algérie, 25 octobre 2008, « Le devoir de désobéissance civique » ».
[4] V. aussi, Désobéissance civile contre le système publicitaire.
[5] V. par ex. Le Soir, Belgique, 27 octobre 2008, « Place à la désobéissance civile ».
[6] Faudrait-il lire l’ouvrage réalisé sous la direction de David Hiez et Bruno Villalba, La désobéissance civile - Approches politique et juridique, PU du Septentrion, 2008…
[7] Il n’est nullement certain que les procédures d’exception d’inconstitutionnalité y répondent par ailleurs…
[8] Art. 433-5 du Code pénal : « Constituent un outrage puni de 7500 euros d’amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. /Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. /Lorsqu’il est adressé à une personne chargée d’une mission de service public et que les faits ont été commis à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou, à l’occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d’un tel établissement, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. / Lorsqu’il est commis en réunion, l’outrage prévu au premier alinéa est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende, et l’outrage prévu au deuxième alinéa est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende » ; art. 433-5-1 du même code : « Le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d’amende. /Lorsqu’il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ».
[9] Art. 434-24 : « L’outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l’envoi d’objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. /Si l’outrage a lieu à l’audience d’une cour, d’un tribunal ou d’une formation juridictionnelle, la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30000 euros d’amende » ; art. 434-25 : « Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. /Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision. /Lorsque l’infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. /L’action publique se prescrit par trois mois révolus, à compter du jour où l’infraction définie au présent article a été commise, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite ».
[10] V. Le retour du délit de lèse-majesté : l’offense au président de la République.