Le 5 mai 2008, par Geneviève Koubi,
Ajouter quelques remarques de Droit cri-TIC à la suite des observations sur « Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique » exposées dans un Drôle-d’en-Droit est inutile, mais [1]...
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Le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques dispose ainsi en son article 2 que : « I. – Dans l’intitulé, le mot : “électroniques” est supprimé. / II. – Dans l’ensemble du décret, les mots : “passeport électronique” sont remplacés par le mot : “passeport” ».
Le « passeport » devient donc un passeport biométrique sans que cela soit explicitement exprimé dans le texte. Ce silence est curieux dans la mesure où l’expression de « passeport biométrique » n’est pas absente de la « liste des titres sécurisés relevant de l’Agence nationale des titres sécurisés » posée par le décret n° 2007-255 du 27 février 2007 [2]. Tous les services qui se sont équipés en lecteurs de passeports électroniques vont devoir reformater leurs logiciels [3].
Toutes les personnes qui détiennent un « passeport électronique » ne sont pas encore obligées de solliciter ce nouveau passeport… qui paraît pourtant plus aisé à obtenir que le précédent. En effet, l’article 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques prévoyait que la délivrance ou le renouvellement du passeport électronique se réalisait sur « production de la copie intégrale d’un des actes de l’état civil figurant sur une liste déterminée par arrêté du ministre de l’intérieur », ces actes devant établir la preuve de la nationalité française du demandeur. Or, ces actes se résument, en vertu d’un arrêté du 31 mars 2006 relatif aux actes de l’état civil requis pour la délivrance du passeport électronique [4], à un seul : l’acte de naissance – dont la copie intégrale n’était pas toujours possible à recueillir et qui se trouve enfin non exigée, le livret de famille des parents permettant donc d’établir la filiation sans avoir à passer par les services de l’état civil de la mairie ou de Nantes pour ceux qui sont nés à l’étranger, dans les anciens départements français d’Algérie ou dans les anciennes colonies françaises – ; si cet acte ne peut être produit, il faut alors présenter l’acte de mariage [5].
Reste à admettre le fait qu’« au moment du dépôt de la demande d’un passeport, il faudra se faire prendre en photographie par une webcam et se faire scanner les empreintes digitales de deux doigts » [6]. La CNIL avait avalisé le « passeport électronique » dans un avis du 22 novembre 2005, acceptant ainsi que la photographie du détenteur du passeport soit « numérisée ». Désormais, par un article 6-1 ajouté au décret, « lors du dépôt de la demande de passeport, il est procédé au recueil de l’image numérisée du visage et des empreintes digitales de huit doigts du demandeur (…) [et] à moins que le demandeur ne fournisse deux photographies d’identité de format 35 × 45 mm identiques, récentes et parfaitement ressemblantes, le représentant de face et tête nue, l’image numérisée de son visage est recueillie par la mise en œuvre de dispositifs techniques appropriés » [7]. La CNIL était pourtant restée vigilante à l’égard des systèmes de « traçage » des individus par le biais de leurs empreintes digitales comme par les modes de « stockage » de celles-ci sur un terminal de lecture-comparaison ou sur un serveur. [8]. L’avis de la CNIL du 11 décembre 2007 auquel il est fait référence dans les visas du décret du 30 avril 2008 est « confidentiel » — sans doute parce qu’il serait maintenant acquis que la CNIL ne saurait s’opposer aux fichiers décidés par l’Etat [9]. Quelle était donc sa teneur ? [10].
Quoi qu’il en soit, il n’est pas sûr que cette frénésie sécuritaire voulue par les services des Etats-Unis et entérinée par l’Union européenne, n’engendre pas des frustrations et des humiliations pour les simples voyageurs dont la destination finale n’est pas l’Amérique du Nord mais plutôt l’Amérique latine mais qui se trouvent obligés de faire escale — en transit — aux Etats-Unis [11]…
Et comme le remarque le Professeur Guglielmi, « Toute personne est dorénavant à la disposition de la police. Ou presque... ». Il faudra donc être vigilant quant aux critères et contenus du système de traitement automatisé des données à caractère personnel « TES » [12]. L’un des slogans de Mai 2008 sera-t-il donc : « Nous sommes tous des présumés délinquants » ?
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[1] comme la question du passeport est de celles qui réveillent les rêves de voyages lointains, il était difficile pour Droit cri-TIC de ne pas se lancer dans l’exercice...
[2] JO 28 février 2007.
[3] Outre le fait qu’il est difficile de passer sous silence le fait que ces passeports biométriques sont exigés par les autorités américaines depuis une loi sur la sécurité aux frontières de 2002, la mise au point de ces derniers est désormais retenue dans la plupart des Etats européens. V. par ex. pour ce qui concerne le Luxembourg, les indications exposées sur le passeport électronique et biométrique.
[4] JO 4 avril 2006.
[5] Et tant pis pour les célibataires ! compléments au 21 mai 2008 : Voir cependant, la décision du Conseil d’Etat du 5 mai 2008, donc du jour même où était mis en ligne cet article : CE, 5 mai 2006, Mme Geneviève A*, GISTI, req. 293934. (* : le A pourrait être un K).
[6] V. « Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique » sur le site du Professeur Guglielmi.
[7] Il est encore précisé, pour justifier ces dispositions, que « ces photographies et cette image sont conformes aux spécifications arrêtées sur le fondement de l’article 2 (c) du règlement (CE) n° 2252/2004 du 13 décembre 2004 du Conseil ».
[8] V. aussi, Délibération n° 2007-094 du 3 mai 2007 portant avis sur un projet de décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à des passagers des aéroports français franchissant les frontières extérieures des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990->http://admi.net/jo/20070807/CNIX0710747X.html].
[9] V. sur le site de la LDH-Toulon, « A l’heure du passeport biométrique, le contrôle des fichiers internationaux est plus sensible que jamais ».
[10] Il n’a été possible de la connaître que par la publication tardive de la délibération n° 2007- 368 du 11 décembre 2007 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat modifiant le décret n° 2005- 1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques au JO du 10 mai 2008. Le Gouvernement n’a pas tenu compte des observations de la Cnil : cf. commentaires/réponses à propos de l’article précité : « Le passeport français n’est plus électronique mais biométrique ».
[11] V. pour l’Europe, « Mets ton doigt là, étranger » sur le site du Professeur Guglielmi.
[12] Art. 18 nouveau du décret : « Afin de mettre en œuvre les procédures d’établissement, de délivrance, de renouvellement et de retrait des passeports (…), ainsi que pour prévenir et détecter leur falsification et leur contrefaçon, le ministre de l’intérieur est autorisé à créer un système de traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé TES ».