Le 4 décembre 2016, par Geneviève Koubi,
Encore une fois, l’histoire « officielle » prend le pas sur l’histoire textuelle au prétexte d’une Journée anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, objet de la circulaire n° 2016-181 du 22 novembre 2016.
Cette circulaire commence par ces mots : « La date du 9 décembre 1905 a marqué une étape majeure dans le processus historique d’institution, en France, d’une République laïque qui, selon les termes de l’article premier de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État, « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [...] dans l’intérêt de l’ordre public ». »
Or, outre le fait que ce fut sous la Commune de Paris que le principe de la séparation des églises et de l’État fut avancé, les lois de 1875 composant la constitution de la IIIème République n’ont que peu admis la formulation « laïque ». Le principe d’une République laïque ne fut affirmé qu’en 1946 – ce qui, d’ailleurs, fit réagir certains professeurs de droit de l’époque en interpellant le lecteur : « Laïcité : le mot sent la poudre ; il éveille des résonances passionnelles contradictoires ; et la contradiction n’est pas seulement celle, normale, qui oppose les esprits pour ou contre une notion claire ; elle porte sur le contenu même de la notion et le sens du mot. » [1]…
Il est alors quelque peu lassant de voir chaque année la même lecture de l’histoire du droit se reproduire [2] alors que l’expression même de République laïque relève de la Constitution et non d’une loi, tout aussi fondamentale serait-elle, au risque de surdéterminer la garantie que suppose la laïcité, à savoir la liberté de conscience, la liberté d’opinion [3]. En effet, si l’on peu admettre que la loi du 9 décembre 1905 constituerait « la clef de voûte » de la laïcité, en aucun cas, elle ne la proclame : « La loi du 9 décembre 1905 a défini le régime juridique des relations entre l’État et les cultes sans référence explicite à la laïcité bien qu’elle en constitue la clé de voûte. La consécration constitutionnelle du principe de laïcité est venue plus tard avec l’article 1er de la Constitution de 1946, puis l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La notion de laïcité figure également, à propos de l’enseignement, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958 : « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » [4].
On pourra remarquer que, plutôt que de célébrer une « journée de la laïcité », il s’agit là de faire du 9 décembre 2016, « date du 111e anniversaire de la loi de 1905 », une journée dotée d’une « solennité particulière »… mais toujours liée à une notion de laïcité mal calibrée qui perd progressivement de son sens tant elle est désormais teintée de religiosité [5].
Il est affirmé dans la circulaire du 22 novembre 2016 que « cet anniversaire fournit l’occasion de rappeler l’importance d’une pédagogie de la laïcité, principe fondateur de notre École et de notre République, ainsi que des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui lui sont étroitement liées et que l’École a pour mission de transmettre et de faire partager aux élèves. » Soit.
Il est encore fait référence à la « Charte de la laïcité à l’École » [6] en ce que cette dernière « demeure le support privilégié d’une pédagogie de la laïcité et de l’appropriation de son sens par l’ensemble des membres de la communauté éducative, personnels, élèves et parents. Ses différents articles, qui abordent notamment les thématiques de la citoyenneté, de l’égalité, de la lutte contre les discriminations, du rejet des violences, de la liberté d’expression, du respect du pluralisme des convictions ou encore de la neutralité des personnels dans l’exercice de leur fonction, seront mis à contribution pour rappeler que la laïcité la garantit le vivre ensemble, en permettant de concilier la liberté d’expression et la concorde sociale. »
Une liste des « sites » devant être consultés pour une préparation de cette journée « anniversaire » est présentée : du site Éduscol à la rubrique laïcité du portail « Valeurs de la République » du réseau Canopé (http://eduscol.education.fr/laicite ; https://www.reseau-canope.fr/les-valeurs-de-la-republique.html ; http://eduscol.education.fr/pid33120/enseignement-moral-civique.html). Et à destination des directrices et directeurs d’école, des personnels de direction des établissements scolaires et des équipes éducatives, un « livret laïcité » , « augmenté et enrichi des dernières jurisprudences concernant les difficultés ou les conflits rencontrés dans l’application du principe de laïcité dans l’école » est téléchargeable sur l’Intranet Pléiade…
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[1] V., en retenant l’année de parution : J. Rivero, « La notion juridique de laïcité », D. chr. n°33, 1949, p.137.
[2] V. Sur Droit cri-TIC, « Une journée "anniversaire" le 9 décembre ? », 4 déc. 2014.
[3] V. J.-M. Sauvé, « La France est une République… laïque… », 7 oct. 2013.
[4] Rapport du Conseil d’État, Un siècle de laïcité, EDCE 2004, p. 246.
[5] V. Sur Droit cri-TIC, « Laïcité en République », 19 janv. 2008.
[6] V. sur Droit cri-TIC, « La laïcité en charte ? », 10 sept. 2013