Le 27 août 2013, par Geneviève Koubi,
La notion, voire la fonction, du dialogue pénètre toutes les sphères publiques.
Ainsi, par exemple, tel est le cas dans le cadre mixte de la gendarmerie, située entre défense et intérieur, puisque la circulaire n° 86100/GEND/DPMGN du 16 juillet 2013, est relative au dialogue interne des militaires de la gendarmerie nationale.
Cette circulaire donnerait-elle un aperçu de la conception gouvernementale de la notion de dialogue ? De toute évidence, l’abus de l’usage de ce mot de dialogue par les instances administratives et politiques risquerait de lui faire perdre son sens [1].
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La circulaire du 16 juillet 2013 relative au dialogue interne des militaires de la gendarmerie nationale évoque bien une idée de dialogue, mais de nature interne donc fermé. Elle insiste lourdement sur le fait qu’il ne s’agit que d’un dialogue ’interne’ [2].
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La circulaire du 16 juillet 2013 relative au dialogue interne des militaires de la gendarmerie nationale se présente comme un ’livret’ composé d’un ’préambule’, de deux chapitres et d’une conclusion.
Sans aucun doute, il s’agit de faire état aussi bien des obligations découlant du statut des militaires que d’une écoute toute relative des revendications, plus ou moins feutrées, quant à une demande générale de considération de la part des personnels dits ’subordonnés’. La circulaire s’attache ainsi à développer des moyens relationnels afin de « garantir, à chaque instant, un système d’échanges respectueux dans un climat de confiance et de transparence : le dialogue interne. »
La définition de ce dialogue interne est alors signifiée dès le préambule en une langue littéraire bien éloigné des diatribes militaires classiques : « Le dialogue interne s’appuie sur un dispositif réglementaire novateur qui traduit l’identité originale et le caractère unique de la gendarmerie nationale ancrée dans la militarité et soucieuse de permettre la résonance de tous ses talents. Chaque membre de l’institution contribue par son implication dans le dialogue, à la respiration collective de ce système ». Toutefois, derrière ces formules, d’emblée, il est possible de repérer une attention envers les formes hiérarchiques de l’obéissance et une demande de responsabilisation à l’adresse des subordonnés. Telle est d’ailleurs la première visée de cette circulaire : la hiérarchie est renforcée, l’obéissance est exigée, le respect des procédures est indispensable...
Le premier des principes sur lesquels repose le dispositif rejoint le souci d’une fonction particulière qui ne se réalise que dans l’entente ; le collectif doit être soudé par une vision commune des tâche de protection des personnes et des biens afin, comme l’exprime la circulaire, de "mieux vivre et mieux travailler ensemble". De ce fait, autant le moral individuel que l’esprit d’équipe. Mais, outre la qualité des matériels nécessaires pour y parvenir, le maillon faible, le mouton noir, la brebis galeuse doivent être repérés : « le dialogue interne vise à détecter, comprendre, analyser et traiter toutes les problématiques humaines, matérielles et fonctionnelles qui impactent le dynamisme, la cohésion et la réalisation des missions de la gendarmerie nationale. » Dans cet esprit, la circulaire précise qu’« il n’y a pas de sujet "tabou" », mais les thèmes abordés doivent rester cantonnés dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie et de travail.
Il est alors bien entendu que ce dialogue interne ne peut être compris comme une modalité de ’cogestion’. Certains militaires seulement se voient ’mandatés’ pour porter à la connaissance de leurs supérieurs les quelques problèmes qui pourraient survenir. De ce fait, le dialogue interne se pense en strates, les non-mandatés devant en référer au mandaté pour que l’information remonte enfin au grade supérieur.
La circulaire s’évertue ainsi à bien distinguer le ’dialogue interne’ des autres processus d’échanges comme la concertation et la participation, réservées aux chefs, pensées au niveau nationale, laissant la représentation aux ’mandatés’ - ou ’référents’ - qui, bien que pré-désignés du fait de leur position et de leur grade, seraient censés être ’choisis’ [3]. La ’dimension protocolaire’ de la fonction est alors explicitement exposée, ces ’mandatés’ seraient les seuls à pouvoir aviser les chefs des questions humaines, matérielles et fonctionnelles qui briseraient la dynamique du système. Mais ils ne disposeraient que de ce seul moyen, présenté comme une ’force de proposition’, les chefs conservant évidemment le pouvoir de décision, comprise comme une réponse ou "une solution à la question ou au problème soulevé". Le dialogue interne évoqué n’est donc pas assorti d’un jeu de médiation.
Quelques principes sont présentés comme devant guider le dialogue interne dans la gendarmerie nationale. Ils semblent relever de la déontologie : respect et estime réciproques. Ils sont inhérents au système militaire : hiérarchie, unicité. Mais, afin de donner un contenu concret à l’intention d’une responsabilisation, est ajoutée la subsidiarité ; en effet, ne doit remonter aux supérieurs que les questions et problèmes qui ne pourraient pas être résolus au niveau des échelons subordonnés, voire au niveau même auquel ils seraient apparus...
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Après avoir détaillé les formations adaptées pour les ’mandatés’, après avoir signalé les positionnements des uns et des autres dans le dispositif de dialogue ainsi mis en place, la circulaire, qui sera publiée au Bulletin officiel du ministère de l’intérieur et non au Bulletin officiel des armées, se conclut en de mêmes envolées littéraires, en insistant sur le caractère étatique et national de la gendarmerie : « Le dialogue interne, indispensable dans une institution militaire régalienne chargé de la protection des personnes et des biens, contribue au maintien du moral et de la cohésion tout en offrant à la hiérarchie une capacité d’anticipation sur les attentes et les préoccupations des militaires de la gendarmerie. Ce dialogue interne, respectueux du statut général des militaires et de l’identité de la gendarmerie nationale, est l’outil mis à la disposition des titulaires de commandement et des militaires mandatés pour concilier l’objectif de performance et l’épanouissement individuel et collectif. »
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’Concilier l’objectif de performance et l’épanouissement individuel et collectif’ ? Est-ce possible ? Et si jamais la recette fonctionnait, ne serait-elle pas à développer dans d’autres cadres ?
[1] En quelque sorte, une étude particulière sur ce terme de dialogue et ses usages dans le cadre de la détermination des différentes politiques publiques comme dans les rapports entre les institutions publiques, entre celles-ci et les citoyens ou leurs personnels pourrait être valablement engagée. Une distinction pourrait aussi être élaborée entre concertation et dialogue ; cette circulaire du 16 juillet 2013 relative au dialogue interne des militaires de la gendarmerie nationale en esquisse d’ailleurs quelques cheminements.
[2] Ce qui demanderait à ce que soit également étudié une idée de dialogue ’externe ( ?).
[3] De fait, parmi les références citées, on trouve la circulaire n° 86000/GEND/DPMGN/SDPRH/BRFM du 8 novembre 2012 relative à la représentation et à la participation au sein de la gendarmerie nationale, BOMI janv. 2013, p. 669.