Le 6 juin 2009, par Geneviève Koubi,
Bien que récemment publiée (au BOEN du 4 juin 2009), l’instruction n° 09-060 JS du 22 avril 2009 (NOR : MENE0900412J) a déjà fait l’objet de quelques commentaires. Signée conjointement par le ministre de l’Éducation nationale, le haut-commissaire à la Jeunesse, le ministre du Travail, le secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche et le secrétaire d’État chargé de l’Emploi, elle inscrit la démarche de prévention du décrochage scolaire et (d’)accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire dans plusieurs espaces territorialisés.
Le thème de la réduction des inégalités territoriales n’est plus le prétexte invoqué pour revisiter le système scolaire ; la connexion entre politiques de la ville, lutte contre la délinquance juvénile et refonte des méthodes éducatives devient une des préoccupations principales du Gouvernement. Cette instruction du 22 avril 2009 ajoute donc une pierre supplémentaire à l’édifice, échafaudé par étapes, d’une école-caserne plus qu’école-sanctuaire dans laquelle le statut de l’élève ne se pense qu’en termes de docilité, d’obéissance, de soumission, d’immobilité, de silence. Il n’y a plus de ‘cancres’ ou de fainéants, il n’y a plus de ‘mauvais élèves’ mais des ‘graines de délinquants’…
Autrefois lieu de socialisation, l’école se convertit en bastion sous divers prétextes qui, sous le couvert d’intentions louables, désignent, en fait, la faillite des institutions publiques dans la gestion des inégalités sociales, dans la considération de la jeunesse, dans la fabrication du rêve. Le dogme de la ‘réussite’, de test en test, d’évaluation en évaluation, dont les résultats sont consignés dans un carnet de fiches définitives, contourne la problématique de la transformation des rapports sociaux suivant des compartiments dissociés et des rivalités exacerbées. Approchant une notion archaïque de ‘normalité’ à partir de laquelle commence la stigmatisation des comportements dissidents, des défauts de toute sorte, des attitudes insolentes en sus la signalisation des activités de délinquance, la phraséologie administrative reconstruit le modèle d’un système éducatif dans lequel se rigidifient l’autorité, l’ordre, la discipline, la règle sous la bannière du travail à peine rémunéré.
En associant les collectivités territoriales au repérage des « décrocheurs de la formation initiale », l’instruction du 22 avril 2009 relative à la prévention du décrochage scolaire modifie aussi la qualité de la relation entre établissements scolaires et territoires locaux instituant une coordination locale composée de multiples acteurs pour une mise au pas des jeunes ’identifiés’ comme ‘décrocheurs’.
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Comme bien d’autres circulaires, instructions et notes relatives aux questions éducatives signalant l’échec, l’absentéisme, l’illettrisme, etc., cette instruction se réfère aux politiques de la Ville. Les travaux du Comité interministériel des villes et du développement social urbain (C.I.V.) et du Comité interministériel pour la jeunesse en constitueraient les fondements.
Le C.I.V. du 20 juin 2008 avait donné au Premier ministre l’occasion de rappeler la nécessaire « mise en œuvre des engagements en matière d’éducation », considérée alors comme « un des volets les plus importants du Plan "Espoir Banlieues" ». Il s’agissait ainsi « d’adapter (le) système éducatif pour qu’il soit en mesure d’apporter un soutien aux élèves qui sont en situation de décrochage ». Le propos prétendait « passer d’un système où on essaye d’imposer à tous le même moule, la même méthode, le même rythme, les mêmes horaires, à un système beaucoup plus individualisé » pour engager la lutte contre le décrochage scolaire : « c’est la mise en place d’un accompagnement individualisé. Mais c’est aussi, la mise en place des "internats de réussite éducative", des "sites d’excellence", la montée en puissance de l’accès aux classes préparatoires dans les établissements situés dans les quartiers ». Mais, la répétition des thèmes revient à signaler l’inanité de la méthode, à relever l’inutilité de certaines mesures dites ‘concrètes’ qui prétendaient répondre au déficit de l’attractivité des lieux éducatifs. La plupart des mesures envisagées est restée au niveau des ‘discours’. Ainsi, par exemple, même si l’instruction n° 09-060 JS du 22 avril 2009 la cite en exemple pour ce qui concerne les actions à mener dans les « quartiers les plus en difficulté », la circulaire interministérielle n° 2008-174 du 18 décembre 2008 relative au décrochage scolaire s’est révélée insuffisante pour répondre aux problèmes soulevés [1].
Pour cette fois, c’est au Comité interministériel pour la jeunesse (C.I.J.) du 30 janvier 2009 que les auteurs de l’instruction du 22 avril 2009 font référence. Mais les intentions alors signifiées comme devant composer les 7 piliers de « la nouvelle politique en faveur des jeunes » (l’orientation ; la formation ; l’emploi ; le logement ; la santé ; la citoyenneté ; la mobilité internationale) déclinés par le Premier ministre ne connaissent pas là de traductions précises. De fait, l’instruction du 22 avril 2009 n’est que la réitération, sous d’autres formulations, de circulaires antécédentes relatives au même objet, voire encore une extension des présupposés de l’arrêté du 28 janvier 2009 portant “mise en œuvre d’un traitement automatisé d’informations nominatives visant à produire et diffuser des indicateurs statistiques locaux sur le retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la ville et dans les quartiers Iris 2000” [2].
De cette instruction, ce qui retient l’attention est la mise en place d’une coordination locale (induite par la multiplicité des acteurs-partenaires) ; l’exposé des solutions proposées pour remédier au décrochage demeure liminaire. Force est de constater que "l’accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire" cité en objet de l’instruction ne connaît pas de développements particuliers.
Car, tout commence (et finit) par le « repérage des décrocheurs de la formation initiale ».
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La problématique du « repérage des décrocheurs de la formation initiale » se veut, paradoxalement, de « prévention ».
Les établissements de formation initiale invités à « mettre en place les mesures internes de prévention, d’accompagnement individualisé » doivent donc y participer : « la connaissance rapide et fiable des élèves décrocheurs au coeur des établissements publics locaux d’enseignement (E.P.L.E.) sera réalisée sous la responsabilité des chefs d’établissement, notamment ceux des lycées professionnels qui représentent la cible principale de cette politique ». De plus, sans que les méthodes de ‘géolocalisation’ soient énoncées, « une interconnexion des différentes bases de gestion interne pour améliorer le repérage des élèves décrocheurs ou sortants sans qualification » est prévue dès la rentrée 2009. Plus qu’une considération portée à cette catégorie d’élèves (ou de non-élèves ?), il s’agit de mettre en place une stratégie composée à partir « des systèmes automatisés de suivi et de repérage des élèves décrocheurs ». La force du fichage généralisé est là clairement affichée [3]. C’est dans le cadre de cette stratégie destinée au « renforcement général des conditions de repérage des élèves décrocheurs », que, « nécessairement », les collectivités territoriales sont impliquées, notamment par rapport aux « centres de formation accueillant des apprentis relevant de leur autorité ».
Le principe de base est pourtant l’échange d’informations entre les partenaires. Le but exposé est de parvenir à « un traitement rapide des situations repérées au niveau de la coordination locale » et si besoin est, de créer pour cela de nouvelles interfaces entre les différents systèmes d’information. De plus « le système de gestion doit … alimenter la connaissance des établissements de formation initiale des cas individuels signalés hors du champ d’action scolaire, surtout quand le retour en formation des élèves ainsi repérés constitue pour ces derniers une solution adaptée et souhaitable ».
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Cette instruction du 22 avril 2009 est une démonstration supplémentaire de la propension des pouvoirs publics non seulement à utiliser les systèmes d’information, les traitements automatisés, les banques de données, etc., pour exercer une surveillance constante sur les individus, mais aussi de promouvoir les modalités d’interconnexion entre ces éléments sur lesquelles aucun contrôle adéquat ne peut être mis en œuvre. Curieusement, parmi les commentaires réalisés de cette instruction, rares sont ceux qui ont souligné cette tendance particulière. Le plus souvent, ce sont les indications relatives à la coordination locale « une fois ce repérage effectué » qui sont mises en exergue.
Certes, ce modèle de coordination locale qui permet des superpositions floues entre chacune des collectivités territoriales, revêt un intérêt particulier en tant qu’il fait se rejoindre des instances ministérielles, des services déconcentrés, des collectivités territoriales et des établissements publics dans une même stratégie de repérage, en quelque sorte de ‘présumés futurs délinquants’ selon la rhétorique sécuritaire adoptée de nos jours. Mais il n’est pas certain que l’échelle géographique retenue, à partir d’institutions plus que de territoires, puisse être considérée comme appropriée dans un enjeu général de prévention.
Les terminologies retenues permettent, en effet, de supposer que la problématique adoptée se réalise à partir d’ensembles statistiques plus que sociologiques : agglomération, bassin d’emploi, bassin de formation... L’emploi de ces expressions ne répond pas aux logiques de partenariat et aux espaces de compétences que toute référence aux collectivités territoriales indiquerait [4]. D’une certaine manière, ce choix linguistique renforce la tonalité informatisée de la méthode envisagée de prévention du décrochage scolaire…
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A l’aide de cette instrumentalisation d’interconnexions diversifiées, la prévention qui s’avère en définitive n’être qu’une correction du décrochage (pour susciter un raccrochage), n’est pas envisagée de manière globale : une distinction entre décrocheurs éligibles et décrocheurs non éligibles au suivi par la coordination locale devrait-elle être opérée ?
Ainsi que le signale l’instruction du 22 avril 2009, « sans constituer une structure administrative supplémentaire, cette coordination doit mieux articuler, au niveau territorial pertinent, diagnostics et solutions concrètes au bénéfice des jeunes repérés ». Cependant, au préalable, l’organisation de la coordination locale est « construite sur une meilleure connaissance du nombre d’élèves éligibles à ces suivis » tandis que la mission de la coordination locale est alors de « proposer sans délai des solutions de formation ou d’insertion aux jeunes identifiés comme décrocheurs, en cours ou en fin d’année scolaire ».
L’énumération des missions de la coordination entre les différents acteurs désignés ne met pas en valeur la fonction de prévention qui forme pourtant l’objet de l’instruction du 22 avril 2009. Il s’agit, par exemple, de : « - s’assurer que chaque jeune sortant du système scolaire sans qualification ou diplôme soit identifié et que ses besoins comme son projet soient analysés et ses acquis reconnus ; - veiller à orienter chaque jeune vers un référent qui l’amène soit vers la reprise d’une formation, soit vers l’emploi, soit vers le dispositif d’accompagnement le plus approprié, pour sa qualification et son insertion professionnelle future ; - prévoir que chaque acteur mette à jour en continu ses offres locales de formation, d’information et d’accompagnement et mutualise les informations provenant de l’éducation nationale, du service public de l’emploi et des réseaux d’accueil et d’accompagnement des jeunes, sans exclure la possibilité de formations conjointes à cet effet ; - utiliser les services d’aide à l’orientation accessible par internet et par voie téléphonique, tout en veillant à l’actualisation des informations délivrées aux jeunes et à leurs familles pour, éventuellement, assurer la mise en relation avec un référent local identifié ».
Quant aux objectifs, ils sont essentiellement calculés pour un taux de réduction des situations de sorties sans diplôme à fixer…. Les indicateurs — collectés et suivis trimestriellement — retenus sont : « - nombre total de jeunes sortis sans diplôme du système de formation initiale chaque année scolaire ; - nombre de jeunes pris en charge par les réseaux participant à la coordination locale chaque année scolaire ; - nombre de jeunes ayant bénéficié d’une solution une année après le premier contact avec la coordination locale ».
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Cette architecture d’une prévention du décrochage scolaire, agencée autour du « repérage », ne se préoccupe guère de ceux qui décrochent…
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[1] V. Gk, Un pan du plan Espoir banlieues : le décrochage scolaire.
[2] V. Gk, La « géolocalisation » du retard scolaire .
[3] Nous faudrait-il signaler que le terme de ‘force’ peut engager la Commission sur la politique de la jeunesse, ne serait-ce que par l’acronyme du programme de travail proposé par le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse : « le programme “FORCES”. F, pour formation. O, pour orientation. R, pour ressources et résidence. C, pour citoyenneté et culture. E, pour emploi. S, pour santé. FORCES pour affirmer que la jeunesse n’est pas un problème pour notre société, mais un atout, pas une faiblesse, mais une force. Et si elle ne l’est pas aujourd’hui, elle doit le devenir. (…). FORCES, pour traiter simultanément les questions de formation, d’orientation, de ressources et de logement, de citoyenneté et de culture, d’emploi et de santé, avec une appréhension globale des sujets qui sont au coeur des besoins de la jeunesse et donc des besoins de notre société. ».
[4] Aux termes de l’instruction, « compte tenu du caractère régional du pilotage des réseaux de formation, d’accueil, d’orientation et d’accompagnement, les principes et les périmètres de cette coordination seront arrêtés conjointement par le préfet de région, le recteur d’académie et le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, en concertation avec le président du conseil régional ».