Le 20 novembre 2018, par Geneviève Koubi,
D’un côté la suppression des organismes consultatifs est engagée, d’un autre côté, la création d’organismes consultatifs est décidée…
Par un décret n° 2018-1002 du 19 novembre 2018, est supprimé le Conseil national de l’insertion par l’activité économique, le décret n° 91-422 du 7 mai 1991 qui y était relatif étant abrogé (art. 7), et est créé pour cinq ans, auprès du ministre chargé de l’emploi, un « conseil de l’inclusion dans l’emploi » (art. 1).
L’intitulé choisi pour ce Conseil paraît obtus. Comment appréhender l’idée ici évoquée d’une « inclusion dans l’emploi » ? [1]
L’article 2 du décret du 19 novembre 2018 décline ainsi les missions dont ce conseil est chargé. Il est chargé : « 1° De formuler des propositions en matière de politiques d’inclusion dans l’emploi, notamment des jeunes peu qualifiés, des chômeurs de longue durée, des bénéficiaires de minima sociaux et des travailleurs handicapés, en s’appuyant en particulier sur les expériences locales et sur les réformes menées hors du territoire national ; 2° De recenser et diffuser les bonnes pratiques en matière d’inclusion dans l’emploi et de favoriser les solutions et les pratiques innovantes ; 3° De concourir à la conception, à l’élaboration et au suivi des politiques d’inclusion dans l’emploi, notamment des expérimentations réalisées en la matière ; 4° D’assurer le suivi du développement des démarches de responsabilité sociale et des innovations concourant à l’inclusion dans l’emploi ; 5° De développer et d’encourager les échanges sur l’inclusion dans l’emploi entre toutes les entreprises, quel que soit leur statut juridique, qu’elles bénéficient ou non de financements publics à cette fin. » En sus, « le conseil de l’inclusion dans l’emploi peut être saisi de toute question par le ministre en charge de l’emploi [2].
L’article 4 du décret concerne la composition de ce conseil. Sont entre autres mentionnées « huit personnalités nommées en raison de leurs compétences en matière d’insertion par l’activité économique, d’entreprise adaptée, de lutte contre l’exclusion ou de formation professionnelle des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières ». Le terme « inclusion » serait alors pensé en rapport avec celui d’exclusion. Sont également citées « huit personnalités nommées en raison de leurs compétences en matière d’inclusion dans l’entreprise, de responsabilité sociale des entreprises, de sociétés dont les statuts définissent la poursuite d’objectifs sociaux ou d’inclusion, ainsi que de politiques locales de l’emploi, de l’insertion, de l’économie sociale et solidaire ou de développement économique » ainsi que « deux personnalités parmi les universitaires et chercheurs dont la compétence est reconnue dans le domaine de l’insertion et de la responsabilité sociale des entreprises ». L’inclusion dans l’entreprise ne rejoint en rien l’idée d’une « inclusion dans l’emploi ». Il serait plus pertinent d’envisager que le terme « inclusion » fasse se rejoindre les questions de l’insertion et de l’intégration sociales.
Pourquoi avoir écarté le mot "insertion" ? Certes, l’utilisation du terme d’« intégration » paraît embarrassante tant elle aborderait les mentions signifiées à l’occasion de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. En effet, l’article L. 311-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile - modifié par ladite loi – forme le contenu de la section consacrée aux dispositions relatives à l’intégration dans la société française. Dans sa version qui devrait être considérée applicable au 1er mars 2019, il indique que « l’étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans révolus et qui souhaite s’y maintenir durablement s’engage dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine. Ce parcours a pour objectifs la compréhension par l’étranger primo-arrivant des valeurs et principes de la République, l’apprentissage de la langue française, l’intégration sociale et professionnelle et l’accès à l’autonomie. » Le choix du terme « inclusion » pour la détermination d’un Conseil aux attributions incertaines s’avère donc idéologiquement connoté…
Le terme « intégration » est largement employé dans le Code du travail (C. Trav.) - tel qu’il a été détricoté, ébranlé et renversé par différentes lois et ordonnances. Ne serait-ce qu’en s’appuyant sur la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, Ainsi, lorsqu’est pris en considération l’apprentissage, certaines actions, dites de « préparation à l’apprentissage » [3] conçues à l’attention de « personnes souhaitant s’orienter ou se réorienter par la voie de l’apprentissage », permettent « de développer leurs connaissances et leurs compétences et de faciliter leur intégration dans l’emploi, en cohérence avec leur projet professionnel. » [4]. Ainsi, les centres de formation d’apprentis ont aussi pour mission de faciliter l’intégration en emploi de ces personnes, et pour celles en situation de handicap, ils sont invités à désigner un référent chargé de leur intégration [5].
Or, le décret n° 2018-1002 du 19 novembre 2018 relatif à la création du conseil de l’inclusion dans l’emploi comporte une précision de taille dans ses visas. Si ces visas renvoient au Code des relations entre le public et l’administration (art. R.* 133-1 à R. 133-15), seule est citée la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et « notamment son article 74 ». Cet article dispose : « I.- Lorsqu’une personne est appelée, en application d’une loi ou d’un décret, à désigner un ou plusieurs membres au sein des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre, des ministres ou de la Banque de France, mentionnées à l’article 112 de la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346 du 30 décembre 1995), dont la composition est collégiale, elle doit faire en sorte que, après cette désignation, parmi tous les membres en fonction dans le collège de cet organisme désignés par elle, l’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes se soit réduit, par rapport à ce qu’il était avant la décision de désignation, d’autant qu’il est possible en vue de ne pas être supérieur à un. Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent I. / II.- Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant de la loi nécessaires pour favoriser l’égal accès des femmes et des hommes au sein des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. I/ II.- L’ordonnance mentionnée au II est prise dans le délai de douze mois à compter de la date de promulgation de la présente loi. Un projet de loi portant ratification de l’ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du troisième mois suivant la publication de celle-ci. »
Quel est donc le rapport entre ces dispositions et celles inscrites ce décret n° 2018-1002 du 19 novembre 2018 ? Accessoirement, n’aurait-il pas été plus logique de se référer à l’article 31 de la loi du 4 août 2014 à propos de l’expérimentation destinée à faciliter l’accès aux modes de garde pour les familles modeste [6] conformément aux objectifs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Si c’est le seul article de la loi où apparaît le terme inclusion, l’objet du décret repéré à travers les missions attribuées au « Conseil de l’inclusion de l’emploi » n’y répond nullement.… Y aurait-il eu erreur de référence ?
L’avis de vacance d’un emploi d’expert de haut niveau du 18 novembre 2018 auprès du Premier ministre concerne la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Cet avis offre des pistes pour comprendre les enjeux de ce Conseil dont les fondements légaux restent incertains [7]. Selon cet avis, « l’expert de haut niveau aura pour mission de définir la stratégie de la DGEFP en matière d’inclusion dans l’emploi et de contribuer à son appropriation et son déploiement, en s’appuyant notamment sur les orientations en matière d’emploi et de formation inscrites dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. » Les "outils de politique de l’emploi en matière d’inclusion" se comprendraient ainsi "à destination de l’ensemble des publics les plus éloignés du marché du travail", ce qui engagerait le service public de l’emploi (SPE) et obligerait son articulation avec le service public de l’insertion...
[1] Une relative explicitation pourrait pourtant être repérée dans un avis de vacance d’un emploi d’expert de haut niveau en date du 18 novembre 2018 !! La coïncidence est bien trop grande...
[2] Pour ces missions, ce même article prévoit également que le conseil « peut associer à ses travaux des personnalités extérieures, qu’il choisit en raison de leur compétence ou de leur fonction ».
[3] Cf. C. Trav., art. L. 6313-2 : « Les actions de préformation et de préparation à la vie professionnelle ont pour objet de permettre à toute personne, sans qualification professionnelle et sans contrat de travail, d’atteindre le niveau nécessaire pour suivre un stage de formation professionnelle ou pour entrer directement dans la vie professionnelle. »
[4] Version appl. au 1er janv. 2019 - C. Trav., art. L. 6313-6.
[5] Version appl. au 1er janv. 2019 - C. Trav., art. L. 6231-2.
[6] ...« aider les familles modestes à recourir à l’offre d’accueil par les assistants maternels, le versement en tiers payant, directement à l’assistant maternel agréé, du complément de libre choix du mode de garde ».
[7] Il est encore précisé que « l’expert de haut niveau sera, sur le champ de l’inclusion, l’interlocuteur privilégié du haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion dans l’emploi » Mais quid de ce "haut-commissaire" ?